Les politiques menées depuis ces deux dernières années contribuent à réduire dangereusement le coût du renoncement au travail, favorisant une situation curieuse, et par ailleurs unique au monde, dans laquelle rester inactif et faire des enfants assure des ressources mensuelles convenables, à peine moins élevées que celles d’une famille au profil identique mais dont le couple serait composé de deux actifs rémunérés entre 1.100 et 1.500€ chacun.
Les politiques publiques, menées au nom de la sacro-sainte « justice sociale », rendent inévitable l’arbitrage malsain entre activité et inactivité, la désincitation à travailler et le délitement de la solidarité nationale. Suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu, diminution du plafond du quotient familial, allocations familiales soumises aux conditions de ressources : toutes ces mesures relèvent de l’art d’entretenir des courbes bien progressives, toujours plus progressives, qui créent inévitablement une rupture entre les français, nourrissant le sentiment de certains de s’éloigner de plus en plus d’un système social auquel il leur est demandé de participer davantage, mais dont ils bénéficient peu.
La tentation de l’égalitarisme : est-ce cela la « justice sociale » ? Réduire davantage l’écart entre revenus du travail et ressources de l’assistanat : est-ce « juste » ?
En comparant les recettes et les dépenses de plusieurs typologies de famille, l’IREF démontre que les politiques fiscales et sociales tendent à pénaliser toujours plus les actifs, notamment les actifs aux revenus modestes. (méthodes de calcul et tableaux de résultats en bas de page)
Laffer se demandait déjà dans les années 1980 « pourquoi travailler si à chaque fois que vous travaillez, vous recevez une facture et à chaque fois que vous arrêtez de travailler, vous recevez une allocation » ?
Le revenu restant correspond au revenu après acquittement de certaines charges fixes, c’est ce que nous appelons ici le revenu disponible et qui pourrait constituer un indicateur du niveau de vie. Le calcul est simple : les revenus du ménage, constitués des salaires et prestations sociales, sont diminués d’une liste de dépenses : loyer, énergie, téléphonie et internet, assurance habitation, mutuelle santé, cantine des enfants, transports et impôts et taxes.
Les récentes réformes en matière fiscale font converger le niveau de vie de deux profils de familles : celles dont le couple est inactif et celles dont le couple est composé de deux actifs, salariés autour du SMIC. Bien sûr, la première famille ne vit pas mieux que la seconde, car évidemment, les minima sociaux n’assurent pas une aisance matérielle outrancière. En revanche, et c’est ce qui est problématique, la seconde famille, celle dont les parents sont actifs, a un niveau de vie à peine plus élevé : entre 400 et 500€ de plus par mois pour une famille avec, respectivement, 2 ou 3 enfants à charge, 500€ pour une famille de 5 personnes, dont les parents percevraient chacun 1.500€ mensuels. Pour simplifier, l’inactivité représente un manque à gagner de 400€ par rapport à un couple salarié autour du SMIC et avec le même nombre d’enfants. En d’autres termes, dans ce cas, le surplus de niveau de vie lié à l’activité professionnelle n’est pas significatif, et sera d’ailleurs en partie absorbé par certains frais supplémentaires liés à l’activité des parents, comme la garde des enfants.
Le calcul précédemment explicité montre que le revenu disponible mensuel d’un couple au RSA s’établit autour de 755€ avec 2 enfants, de 1.405€ avec 3 enfants. Avec une structure familiale identique, un couple d’actifs au SMIC a un revenu disponible mensuel respectivement 1,4 et 1,6 fois plus élevé. Pour un couple aux salaires mensuels cumulés de 3.000€ et avec 2 enfants, le revenu restant atteindra le double de celui d’une famille au RSA. En revanche, si cette même famille a un enfant supplémentaire, son revenu disponible ne sera plus que 1,4 fois supérieur à celui de la famille au RSA. Autrement dit, avec un salaire de 1.500€ par mois, le troisième enfant coûte plus cher, et, le niveau de vie du couple qui perçoit deux SMIC est équivalent à celui du couple qui cumule deux salaires de 1.500€.
A l’inverse, en passant de 2 à 3 enfants, le couple au RSA double quasiment son revenu disponible mensuel, et continue à bénéficier de certaines exonérations (impôts locaux, transports). Cette sorte de « prime à l’enfant supplémentaire » est d’environ 700€ pour un couple au RSA, 380€ dans le cas d’un couple aux salaires cumulés de 3.000€, et 80€ si le couple cumule 6.500€ de salaires. Le système est donc ainsi fait ; dans les foyers à faibles ressources, l’enfant supplémentaire est une source de revenus non négligeable : prime de Noël pouvant atteindre jusqu’à 380€ pour les familles avec 3 enfants, et destinée aux bénéficiaires du RSA Socle, allocations familiales, s’établissant à 460€ pour 4 enfants et une majoration de 166€ par enfant supplémentaire, allocations de rentrée scolaire, complément familial, carte famille nombreuse…
Alors certes, on devine bien la logique d’un tel système : un couple avec un salaire global de 6.500€ peut élever ses enfants grâce aux fruits de son travail, alors qu’un couple d’inactifs ne peut subvenir aux besoins du foyer. Ce dernier nécessite d’une aide de l’Etat, c’est cela la fameuse « justice sociale ». Le problème, c’est que notre modèle actuel substitue l’égalitarisme à l’équité, ce qui n’a plus rien de juste.
Nous sommes donc au cœur de ce que redoutait MALTHUS à la fin du XIXème siècle, un système égalitariste d’aides sociales qui désincitent du travail et « créent les pauvres qu’elles assistent » (Robert Malthus, Essais sur le principe de population, 1803). En effet, dans certains cas, les prestations sociales qui dépendent du nombre de personnes dans le foyer ne sont plus une simple aide ou réparation ponctuelle, mais tendent à façonner un mode de vie permanent, qui oriente l’arbitrage inactivité/travail en défaveur de ce dernier. Ce phénomène pernicieux est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de considérer une situation avec RSA et une reprise d’activité en CDD ou en intérim, par exemple.
Une concentration de l’effort sur les classes moyennes et supérieures pour un système plus injuste
C’est le triple coup de massue : baisse du plafonnement du quotient familial, suppression de la première tranche d’imposition et conditions de ressources pour le calcul des allocations familiales, conduisant à une hausse de la fiscalité à peine déguisée, selon des courbes toujours plus progressives.
Un couple gagnant deux salaires à hauteur de 6.500€ au total, perd 1.000€ par an, avec la combinaison de ces trois mesures. Il cotisera plus de 4.000€ par an au pot commun de la politique familiale pour percevoir la coquette somme de 65€ par mois, pour deux enfants. Dans ce cas, non seulement le ménage paie davantage d’impôts sur le revenu, via l’abaissement du plafond du quotient familial, mais de surcroît, percevra moins d’allocations familiales. En d’autres termes, on le taxe plus et lui donne moins. Alors, certes, ce couple est en capacité d’élever ses enfants sans aides publiques ; mais le problème est ailleurs : il repose sur le fait que l’on impose un effort toujours plus grand à ces familles, tout en les éloignant davantage des bénéfices du système qu’elles contribuent à financer. C’est là tout le problème, et c’est pour cela que l’on ne peut plus se cacher derrière la rhétorique de la « justice sociale ».
Le système des aides familiales, versées indépendamment des conditions de ressources, est déjà, par essence, redistributif : les ménages y contribuent davantage qu’ils n’en bénéficient, même quand leurs salaires sont relativement modestes, à peine plus élevés que le SMIC. Par exemple, un couple gagnant deux salaires de 1.500€ (rappelons que le salaire moyen en France est d’environ 2.100€), cotise environ 160€ par mois et reçoit 129€ d’allocations s’il a deux enfants. Avec un salaire de 1.500€, est-on à ce point « riche » pour cotiser plus que ce que l’on perçoit ? La participation se fait donc très tôt, par les ménages des classes moyennes aux salaires modestes. Dès que l’on dépasse deux SMIC mensuels, les cotisations au pot commun de la politique familiale sont plus importantes que les allocations reçues. Et pourtant, non, on n’est pas « riche » avec deux SMIC !
Soumettre les allocations aux ressources du foyer, au-delà du fait que l’on puisse aisément admettre qu’un couple gagnant 6.000 ou 8.000€ par mois peut subvenir aux besoins de son foyer sans aides publiques, ne fera qu’amplifier l’injustice du système redistributif français. Or, la solidarité nationale, ce n’est pas taxer ceux qui ont plus de moyens pour alimenter les prestations de ceux qui n’en ont pas.
Notre méthode de calcul
Nos analyses reposent sur 2 typologies de familles, l’une constitué de 4 personnes, dont 2 enfants de 9 et 12 ans, l’autre composée de 5 personnes, dont 3 enfants de 6, 9 et 13 ans.
A partir de là, nous avons établi le budget mensuel de chacune de ces deux familles dans différentes configurations financières. Nous avons retenus 3 situations :
– Un couple d’inactifs, au RSA
– Un couple d’actifs, chacun étant salarié au SMIC (salaire mensuel total de 2.240€)
– Un couple d’actifs, chacun étant salarié à 1.500€ (salaire mensuel total de 3.000€)
Par ailleurs, nous posons l’hypothèse que, dans chacun de ces cas, la famille vit à Paris et est locataire d’un logement du parc privé.
Nos analyses prennent en compte les éléments suivants :
Concernant les recettes :
– Les barèmes du RSA Socle et du RSA activité ainsi que du forfait logement
– Les barèmes de la prime de Noël, liée au RSA Socle
– Les allocations logement, telles qu’issues du simulateur en ligne de la CAF
– Les barèmes et plafonds de l’allocation de rentrée scolaire
– Les nouveaux barèmes et plafonds des allocations familiales : majoration à 14 ans, diminution des allocations pour les familles à partir de 6.000€ de revenus mensuels
– Les plafonds du complément familial concernant les familles avec au moins 3 enfants à charge, ainsi que les montants majorés pour les couples au RSA notamment
– La prime pour l’emploi
Concernant les dépenses :
– Les plafonds et conditions pour l’octroi de la CMU
– Les conditions du tarif social d’énergie, lié à la CMU
– Les conditions de la réduction sociale téléphonique, liée à la CMU
– Les tarifs de cantine en école primaire et collège en vigueur à Paris
– Les tarifs d’abonnement RATP en vigueur ainsi que la gratuité des transports, liée au RSA Socle
– Le nouveau barème de l’impôt sur le revenu incluant la suppression de la première tranche à 5,5%, le relèvement du seuil de la première tranche à 9.690€
– L’abaissement des plafonds du quotient familial
– Les conditions d’acquittement ou d’exonération d’impôts locaux directs (taxe d’habitation et redevance audiovisuelle)
Note analyse ne prend PAS en compte les éléments suivants :
– L’allocation PAJE (Prestation Accueil Jeune Enfant) qui ne concerne que les enfants de moins de 3 ans
– L’allocation complément de garde qui ne concerne que les enfants entre 3 et 6 ans
– L’AJPP (Allocation Journalière de Présence Parentale) qui s’applique à la prise de journée de congés quand un enfant est malade et à certaines dépense de santé bien précises
– L’allocation de soutien familial, en cas de décès, divorce ou abandon
– Les indemnités chômage (aucun de nos cas ne concerne des demandeurs d’emploi)
– La carte famille nombreuse, accordant des avantages auprès de la SNCF notamment
7 commentaires
La France qu'on plume
Que préconisez-vous pour faire cesser cette injustice, ce hold-up organisé ?
justice ou justice socile?
La justice dite "sociale" n'a rien à voir avec la justice en tant que ce qui est conforme au droit. En axant la politique sur la réduction des inégalités, on a oublié que les seules inégalités qui sont justes sont celles qui sont dues au travail et au mérite. Il se trouve que ces dernières non seulement ne sont as un problème, mais sont une nécessité inhérente à la création de richesses.
excellente analyse
Excellente analyse que j'attendais depuis longtemps pour prendre enfin en compte les revenus disponibles et non les salaires. Cotisant massivement en tant que salarié et profession libérale en même temps, je participe de manière colossale à la solidarité nationale sans jamais un merci et avec un regard de concupiscence sur ce qui me reste et qui serait bon à prendre. Nos élites n'ont plus qu'à trouver un pays d'accueil pour élever leur progéniture, haïs qu'ils sont par leur propre pays.
système social et restes à vivre
Si l'on compare les restes à vivre on peut mener l'analyse comme vous le faites, mais dans la comparaison des charges , considérez vous les charges de loyer identiques que l'on soit à 6500€ de revenu ou au RSA ?
Ces charges ne correspondent pas forcément à l’obtention de la même qualité de services ou de biens, selon que l’on est bénéficiaire du RSA ou salarié.
Par exemple, certains seront locataires d’un appartement en cité tandis que d’autres seront locataires d’un pavillon, d’un appartement dans des quartiers plus attractifs ou encore en accession à la propriété en zone urbaine ou périurbaine. Ce qui change pas mal de choses. Ce que le travail permet surtout c’est la possibilité de choisir à minima son cadre de vie sûrement de meilleure qualité (et ouvrant une possibilité d’avenir plus favorable pour les enfants), que celui accessible aux bénéficiaires du RSA.
Aider moins ceux qui ont moins
Bonjour,
Le hasard d'un clic m'a conduit à votre article. Par curiosité et par souci des sources, je suis allé consulter le site du RSA, à l'origine des calculs sur l'année 2014, non référencé dans l'article. Il se trouve que je n'ai pas trouvé les même données : sans aide au logement (SAL), un couple avec 2 enfants obtient 1 069,52€ et 918,26€ avec cette aide (AL). Étant entendu que les allocations familiales et le complément familial sont intégrés dans le RSA., les revenus mensuels de ce couple sont loin des 1 604€ publiés dans le premier tableau en fin d'article.
Que l'on y ajoute la prime de Noël et l'allocation de rentrée scolaire ne change pas significativement l'écart : 1 156,64€ dans le premier cas (SAL), 987,37 dans le second (AL).
Du coup, tout le reste me paraît boiteux et je n'ai pas perdu mon temps à le démonter.
Je ne connaissais pas l'"IRF". Maintenant, c'est clair. Aider moins ceux qui ont moins.
Cordialement quand même.
"Ceux qui ont moins" dont vous parlez n'ont qu'à travailler au lieu d'être au RSA…
Les couples au SMIC qui sont désavantagés dans notre pays sont des personnes pauvres mais travailleuses, qui ont droit au minimum/rien et paient pourtant pour les autres… pensez-vous qu'il est normal de spolier ces gens qui travaillent dur pour entretenir des oisifs ?
Très orienté
Bonjour,
Comment pouvez-vous penser que c'est de la faute des plus pauvres si tout va mal ?
Nous vivons dans un système capitaliste, basé sur le profit et l'exploitation des plus fragiles et de la planète à outrance.
Je ne comprends rien à vos calcul, je travaille dans un service d'insertion, pour le département et je pense que vous déformez gravement la réalité.
Les aides sociales ne permettent pas de vivre comme des personnes avec des salaires réguliers, vraiment pas.
Beaucoup de personnes sont obligées de renoncer à la vie en couple, car ils peuvent perdre en partie ou totalement leurs aides, et se retrouver dans des situations de dépendance à leur conjoint, avec toutes les violences que cela peut engendrer.
J'ai personnellement connu cela, des périodes de précarité, en étant au RSA.
Déjà le RSA n'est pas égal à être inactif, on peut travailler en touchant le RSA, on est mobilisés sur des démarches, et il y a beaucoup de difficultés à gérer au quotidien (logement, mobilité, santé, obligations, fragilité sociale, psychique et matérielle etc).
Il y a aussi les contrats d'engagement réciproques à signer régulièrement avec son référent sans quoi il y a une suspension des droits, on est tenu à réaliser des démarches, on subit des contrôles, ce n'est pas juste une aide gratuite, il y a un prix à payer.
Taper sur les plus pauvres est la pire option selon moi, ce qui ne va engendrer que souffrances et cassures sociales encore plus graves.