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Trump : le projet Mar-a-Lago

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President Trump Signs Executive Orders at Mar-a-Lago.Feb. 18.2025
Cette note a été rédigée avant l’annonce du plan de hausse générale des droits de douane présenté par Donald Trump à l’occasion du « Liberation Day ». Elle ne tient donc pas compte des décisions prises ce jour là, et des conséquences susceptibles d’en résulter. Son objet était d’analyser le contenu de ce que la presse américaine a appelé le « Mar-a-Lago Accord Project », en référence à un rapport du professeur Stephen Miran, aujourd’hui patron des conseillers économiques du président Trump, publié à la fin du mois de novembre 2024.

Le document permet de suivre le fil conducteur de la stratégie géo-politico-économique de la nouvelle administration américaine. Le grand coup de massue tarifaire de Trump est le précurseur d’une seconde étape qui, normalement, devrait conduire à la convocation aux Etats-Unis d’une grande conférence sur la refondation de l’ordre monétaire mondial correspondant à ce que Stephen Miran décrit. Dans cette perspective, l’affaire des droits de douane  (en particulier le fait qu’elle soit beaucoup plus brutale que ce qui était attendu) a été conçue pour susciter un effet de panique dont l’administration Trump attend qu’il aggrave un sentiment  d’extrême urgence facilitant l’organisation de cette rencontre fondatrice, à son initiative et sous sa houlette, bien sùr.

Un dollar sur-évalué

Le rapport du professeur Stephen Miran n’a rien d’officiel. Ce n’est donc pas un programme. Il est néanmoins à prendre au sérieux car il nous en dit de fait beaucoup sur ce qui forme la pensée économique de base de l’entourage du président Trump. C’est une culture  keynésienne tout à fait conventionnelle, extrêmement simplifiée, typique de la vulgate mainstream des manuels élaborés dans les années 50/60. Cela ne va guère au-delà. On y trouve un énorme décalage avec la manière dont les mécanismes monétaires et financiers fonctionnent véritablement dans le monde réel d’aujourd’hui. Il y a de fortes chances pour que, au cours des mois qui viennent, sauf imprévu, on assiste au lancement d’initiatives économiques et monétaires directement inspirées par la stratégie d’action qui y est décrite.

Il est essentiel de bien comprendre quel en est le point de départ. C’est l’affirmation que le dollar est structurellement sur-évalué, très sur-évalué. Sa valeur sur les marchés des changes est encore aujourd’hui au plus haut par rapport au niveau établi lors du dernier grand reset monétaire de l’accord du Plaza négocié en 1985. Cette sur-évaluation est la conséquence de la façon dont fonctionne le système monétaire international depuis les accords de Bretton Woods (1944).

Ce système fait que les actifs en dollars y remplissent une fonction de monnaie de réserve mondiale dont il résulte :  a) que le taux de change du dollar évolue de façon indépendante de l’état de la balance commerciale en raison d’une demande presque infinie comme moyen de paiement et instrument de réserve ; et b) que l’économie américaine est privée d’un mécanisme normal de dépréciation de sa monnaie qui, de manière endogène, ramènerait le déficit de ses comptes extérieurs vers l’équilibre. Ce qui conduit à une surévaluation perpétuelle de la monnaie avec de réelles conséquences économiques comme la perte de compétitivité des produits américains, l’exode de l’industrie vers les pays à bas salaires, la destruction des emplois et le grignotage progressif du niveau de vie des classes américaines les moins favorisées.

Arrêter le pillage

Dans la vision trumpiste, telle que résumée par Stephen Miran, l’accumulation des déficits se traduit ainsi par un transfert de pouvoir d’achat au profit du reste du monde, dont la plus grande part  du surplus épargné est réinvestie en achats d’obligations du Trésor américain déposées dans des comptes de la Réserve fédérale. Ces placements (réputés sans risque) viennent accroître le ratio d’endettement global du pays et augmentent encore le poids de la dette que les contribuables américains devront rembourser demain. Cette dette dépasse aujourd’hui un chiffre record de 150 % du PIB, et ne peut que continuer à croître, si rien n’est fait, entretenant ainsi une forme de pillage à petit feu des richesses de l’Amérique par ses partenaires commerciaux (dont l’Europe au premier rang d’entre eux). Il est grand temps que cela cesse.

Il est temps que le reste du monde arrête de vider les industries américaines de leur substance. Le grande projet de MAGA (Make America Great Again) est de mettre fin à cet engrenage systémique. Comment ? En élaborant une stratégie qui permette simultanément de faire baisser le dollar, d’éliminer le déficit commercial et de réduire la charge d’endettement du pays, sans pour autant compromettre le leadership international de sa monnaie. Est-ce possible ?

Au cœur du concept figure l’idée de tenir aux Etats-Unis (plus précisément à Mar-a-Lago, la résidence de Donald Trump) une conférence internationale réunissant l’ensemble des pays alliés et partenaires financiers ou commerciaux de l’Amérique pour travailler de concert aux moyens de faire baisser le dollar. Du fait de son statut de monnaie de réserve mondiale (Global reserve currency), les Etats-Unis ont perdu tout contrôle sur sa valeur. Celle-ci fluctue au gré des mouvements qui agitent le marché monétaire mondial. Trump n’est donc pas dans la position qui était celle du Roosevelt de 1933. L’Amérique n’a plus le pouvoir de dévaluer unilatéralement sa monnaie.

La seule solution consiste à rechercher le consentement collectif des plus grands partenaires commerciaux et créanciers de l’Amérique pour obtenir un arrangement dont le résultat serait de faire baisser le dollar. Il s’agit de recommencer une opération sur le modèle de celle du 12 septembre 1985 qui avait réunis à l’hotel Plaza, à Paris, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France, du Japon et de l’Allemagne. En s’assurant autant que possible que l’accord ainsi obtenu aura une durée de vie plus longue que ce ne fut le cas à l’époque (à peine deux ans!).

Intervention monétaire coordonnée

En principe le mécanisme est relativement simple, mais la mise en application beaucoup plus complexe, surtout avec un plus grand nombre de participants. Les Etats-Unis demanderont à leurs invités qu’ils s’engagent à intervenir de manière coordonnée sur les marchés des changes pour faire baisser le dollar en y rachetant massivement leur propre monnaie et autres devises (ce qui leur est en théorie interdit, la règle internationale de principe étant que les parités doivent être laissées libres de fluctuer). Plus précisément, il leur sera suggéré d’entrer dans un programme échelonné de reventes sur le marché d’une partie de l’immense portefeuille de réserves en valeurs US que tous conservent dans les livres de la Fed de New York (pour faire face à d’éventuelles futures difficultés de balance des paiements).

Cette opération, si elle est initialement menée par un nombre suffisant d’états acceptant  volontairement d’adhérer au programme, entraînera une baisse du cours des obligations d’état américaines, avec pour conséquence de réduire la valeur courante du portefeuille en dollars de ceux, récalcitrants ou retardataires, qui tarderaient à se joindre au mouvement. La perspective de cette perte potentielle devrait les inciter à entrer à leur tour dans la danse et accepter l’opération de swap que, simultanément, le gouvernement américain devrait leur proposer.

L’écueil à éviter est en effet qu’un afflux trop important de ventes d’actifs en dollars ne provoque une baisse excessive du cours des bons du Trésor américains et donc une explosion des taux d’intérêt US (puisque dans le cas des  obligations, il existe une relation inverse automatique entre prix et rendement). Ce qui, pour le gouvernement américain, serait une mauvaise affaire : d’un côté, baisse du dollar, ce qui est recherché; mais de l’autre, hausse des coûts d’amortissement de la dette, et moindre intérêt des investisseurs pour financer les déficits fédéraux du fait de perspectives d’appréciation moins prometteuses.

Comment s’en sortir ? Comment concilier un dollar plus faible sans augmenter les coûts d’emprunt de l’Etat américain ? La solution est venue, l’an dernier, de Zoltan Pozsar, l’ancien gourou des marchés du Crédit Suisse, dans un article publié il y a presque un an. L’idée serait, une fois atteint l’objectif premier (qui est d’éliminer la sur-évaluation du dollar), de proposer aux pays créanciers de l’Amérique d’échanger la masse d’obligations américaines que leurs banques centrales détiendront encore contre des obligations non-négociables à 100 ans avec coupon zéro perpétuel (mais remboursées avec une légère prime à leur échéance).

Opération Gel

Si certains pays créanciers se retrouvent à un moment ou à un autre dans l’ incapacité de faire face à leurs échéances du fait de l’impossibilité de revendre sur le marché leurs titres de la dette publique américaine déposés à la Fed,  celle-ci pourrait compenser cet inconvénient en leur offrant des facilités de prêts temporaires : s’ils ont un besoin pressant de liquidités, par exemple un milliard de dollars, il leur suffira de céder à la Banque centrale US un milliard au pair de ces nouvelles obligations, et la Fed leur fera un prêt repo d’un milliard de dollars. Ce genre de swap sera disponible à tout moment, et ne comportera aucune perte. Qui dit mieux !

S’il voit le jour, le gel des réserves internationales déposées aux Etats-Unis devrait ainsi dissuader les banques centrales des pays en excédent commercial de continuer à y accumuler des créances dollars de facto utilisées comme monnaie de base (et facteur de levier bancaire) par une activité financière internationale générant sur les marchés une demande induite et cumulative de dollars en perpétuelle expansion (tout particulièrement en période de grande incertitude conjoncturelle). La principale source de sur-évaluation du dollar, telle que décrite par les économistes conseillant Donald Trump, serait ainsi maîtrisée.

Quelles chances un tel dispositif a-t-il de séduire ceux auxquels il s’adresse ? Comment garantir qu’un nombre suffisant de pays créanciers accepteront d’emblée d’entrer dans cet arrangement ? La réponse que propose le projet Mar-a-Lago n’est pas difficile à imaginer. Elle est politique. S’il y en a qui hésitent, qui tardent à se décider, le gouvernement américain leur tordra le bras pour les convaincre.

Par quels moyens ? En leur imposant des droits de douane prohibitifs, ou en menaçant de leur retirer du jour au lendemain toute assurance de protection politique ou de bouclier militaire. En ce sens, les mesures tarifaires qui figurent au programme de  l’administration Trump ne prennent leur véritable signification que par rapport au rôle qui leur est assigné par ce que j’appellerai le stade II de la stratégie dessinée par le rapport Miran : il s’agit de mettre en place le cadre coercitif nécessaire pour obtenir la collaboration de tous les pays créanciers et partenaires commerciaux des Etats-Unis.

Outil de contrainte

Avant même que le président Trump ne décide de convoquer la  future conférence de Mar-a-Lago, chacun doit savoir ce qui l’attend s’il traîne les pieds. Il s’agit d’un outil de contrainte, d’un instrument de coercition au service d’un plan  américain global de réorganisation hiérarchique de l’ordre économique et financier propre aux nations appartenant, en premier lieu, au camp de ce que l’on désignait jusqu’à présent comme le monde libre.

Leur adhésion aux mécanismes de Mar-a-Lago représenterait une sorte de reconnaissance officielle de leur « satellisation » par l’Amérique (au sens fort du terme). Une situation où il en serait fini du respect des formes du droit propre à l’ancien monde atlantique du XXème siècle, au profit d’un système brutal de sujétion de nature impériale et mercantilistes tournant le dos aux valeurs libérales d’une société ouverte et de libre-échange.

Il est de bon ton chez les partisans de Donald Trump d’expliquer que passer à un système de gouvernance économique internationale basé sur une gestion réciproque et discriminatoire des droits de douane, complété par une fiscalité principalement fondée sur les recettes que ceux-ci génèrent, serait globalement plus équitable et plus efficace que l’hypocrisie (selon eux) du système géré selon les principes de droit de l’Organisation mondiale du commerce. Mais il n’est pas difficile d’imaginer ce que cela pourrait donner dans le contexte d’un gouvernement américain retrouvant la pleine maîtrise de son taux de change dans les conditions décrites par le rapport Miran. Un gouvernement qui, de plus, tirerait prétexte de l’empreinte internationale dominante de ses grandes entreprises pour imposer à ses partenaires de reconnaître le caractère extraterritorial de son droit des affaires (cf. la récente lettre de l’ambassade américaine aux entreprises française installées outre-Atlantique).

Suzerain et vassaux

Un tel gouvernement ne sera pas seulement un leader, mais un véritable suzerain en position d’imposer à l’ensemble de ses vassaux des impératifs de politique industrielle déterminés par ce qu’il juge souverainement être l’intérêt du bloc commercial sur lequel il règne. Je ne parlerai pas de planification à la soviétique, ou à la chinoise. Ce serait inconvenant. Mais je n’hésiterai pas à dire que nous aurions cependant affaire à un ordre économique et financier de nature proprement « fasciste », au sens originel du terme (et non selon l’acception dévoyée qui est aujourd’hui la règle) : mercantiliste, autoritaire, impérial, voire carrément colonial. Un brutal recul en arrière d’au moins 150 ans dans l’histoire de l’Occident, voilà ce que, sans exagération,  je lis en filigrane de ce rapport.

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