Les penseurs du libéralisme – Bruno Leoni, la liberté et le droit

Temps de lecture : 4 minutes

Bruno-Leoni

Le juriste italien Bruno Leoni (1913-1967) a été très proche de Friedrich Hayek en tant que membre, puis président, de la Société du Mont-Pèlerin. Son ouvrage principal, La Liberté et le droit, paru en 1961 a infléchi les positions de Hayek, notamment sur la question de la rule of law que Leoni traite en partant de la conception hayekienne développée dans La Constitution de la liberté, éditée l’année précédente.

L’ouvrage de Leoni traite de deux points fondamentaux. Le premier ressort de son titre même : les rapports entre la liberté et le droit, et en contrepoint ceux entre le droit et la législation. Le second s’analyse comme une conséquence, radicale, du premier point : l’incompatibilité de principe entre le système représentatif -pour le dire autrement la démocratie moderne et contemporaine- et le droit. Leoni relie les deux points dès son introduction en constatant l’incompatibilité entre la liberté individuelle et « le système actuel qui est centré et presque totalement identité à la législation ».

Les rapports entre la liberté et le droit

L’originalité de Leoni est de faire un parallèle entre le droit et l’économie. De même qu’une économe centralisée s’oppose à une économie libre, la législation s’oppose au droit. S’en suit une critique dévastatrice de règles posées par le législateur. Autrement dit, Leoni s’attaque de manière frontale au positivisme juridique en séparant aussi strictement que possible le droit de la législation. Il est difficile de ne pas y voir une anticipation du thème essentiel du grand ouvrage de Hayek paru dans les années 1970 après la mort de Leoni, Droit, législation et liberté.

Leoni se fonde sur le droit romain et sur le droit des Anglais pour livrer sa définition du droit comme ordre « spontané ». le droit ne s’édicte pas, il ne se pose pas de manière centralisée par un législateur ; il se découvre au fil des rapports entre les juges, d’un côté, et les justiciables assistés de leurs avocats, de l’autre. Leoni en donne également une raison épistémologique, en congruence avec la pensée de Hayek : le droit peut d’autant moins être décrété que nul ne pourrait avoir la prétention de croire qu’il serait capable de « confondre sa propre volonté avec le droit du territoire ».

La rule of law, c’est-à-dire le régime de la suprématie du droit tel qu’il a pu être lentement forgé par la pratique continue et spontanée des individus, suppose la certitude du droit. En effet, ceux-ci ne peuvent planifier leurs actions, tant familiales qu’économiques, que si les règles sont stables et que tout un chacun, y compris le gouvernement, est astreint à le respecter ou à les faire respecter. Il s’ensuit en contrepoint que la législation est incompatible avec la certitude du droit. Les règles ne peuvent dépendre de la volonté arbitraire d’un homme ou d’un gouvernement.

Revenons à cette comparaison entre la sphère juridique et la sphère économique : le droit est à la législation ce que le libre-marché est à la planification. Le droit est le fruit d’un processus évolutionniste, décentralisé, alors que la législation est le fruit d’un processus volontariste, centralisé. L’ordre spontané du droit, pour parler en termes hayékiens, se sépare irrémédiablement de l’ordre construit de la législation.

Le common law plutôt que le système du droit continental

 Le droit est le fruit de la pratique judiciaire durant de longs siècles. Comme Hayek, Leoni fait du système anglo-saxon de common law la matrice de ses développements, en contrepoint du système de droit continental en général et du système français de code civil en particulier.

Tout le monde, y compris le monarque, se trouve soumis au common law, ce corps de règles judiciaires fondé sur un vieux fonds coutumier, ce mélange de traditions et de maximes forgées par les juges. Le droit n’est pas fixé par une volonté identifiable. A l’image d’un fleuve, dont l’eau tout à la fois change et ne change pas. Aucun roi, aucun législateur ne dit le droit. Quant au juge, il ne peut que déclarer la règle de droit, puisque celle-ci existait déjà de temps immémoriaux, d’une part, et en déterminer les nouvelles implications, d’autre part.

Le système juridique, le droit romain et le common law

Leoni s’inscrit dans le courant de l’école institutionnaliste, dit des origines juridiques, selon lequel le système juridique pèse sur la qualité des institutions économiques et politiques. La source du droit commande l’étendue de la liberté : un droit déclaré par le juge de manière spontanée est favorable à la liberté, alors qu’un droit forgé par le législateur de manière volontariste y est défavorable.

Leoni se réfère avec éloge au common law, mais aussi au droit romain, au même titre que Hayek. Celui-ci n’hésite pas à faire de Rome l’un des rares exemples avec l’Angleterre moderne du droit entendu comme nomos, c’est-à-dire, selon sa définition, comme une règle abstraire découverte de manière spontanée et applicable à de cas particuliers sans égard pour les conséquences qu’elle entraine.

L’incompatibilité de principe entre le droit et le système représentatif

En libertarien conséquent, Leoni fait montre d’une grande suspicion envers le politique. Il est dès lors logique que le système représentatif, partant la démocratie, ne trouve pas grâce à ses yeux et qu’il doive être strictement encadré. Alors que le droit est le fruit spontané de la pratique judiciaire, la législation s’analyse comme la règle posée par la majorité du moment à l’encontre des minorités vaincues aux élections. Dès lors, la loi de la majorité porte atteinte à la liberté individuelle. Loin d’être une panacée, la démocratie contrarie la liberté de choix qui caractérise cette liberté.

Dans la continuité implicite avec la pensée de Benjamin Constant, Leoni témoigne la méfiance non seulement envers l’exécutif, à savoir le gouvernement et ses fonctionnaires, mais également envers le législatif, puisque c’est le parlement qui vote la loi.

Leoni appelle de ses voeux une réforme du processus d’élaboration du droit afin que celui-ci laisse la part la plus large possible à l’évolution. La législation ne disparait pas -Leoni n’est pas un anarcho-capitaliste-, mais elle se trouve enserrée de telle manière que la voie libre soit laissée au common law et que la rule of law puisse régner.

2 réponses

  1. Les lois sont proposées et votées par des incultes qui se fichent royalement des attentes de la majorité des français. Il faudrait une démocratie directe comme en Suisse. FREXIT VITE, les français avaient dit NON à l’Europe castratrice dont les dirigeants n’ont jamais été élus. Français, réveillez-vous

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