La justice constitutionnelle est une nécessité dans une démocratie libérale

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Si la composition et certaines décisions du Conseil constitutionnel peuvent être critiquées à raison, vouloir renoncer à tout contrôle de constitutionnalité des lois serait une grave erreur, estime Jean-Philippe Feldman, agrégé des facultés de droit.

À entendre les discours rituels contre le Conseil constitutionnel, la cause est entendue : il n’est autre qu’un «gouvernement des juges», dénué de légitimité et qui ose s’opposer à la volonté du «peuple» exprimée par nos parlementaires et avant tout par nos députés. En conséquence, cette petite élite, déconnectée de la réalité et qui fait plus de la politique que du droit, doit être mise au pas afin que la démocratie et la souveraineté populaire priment de nouveau.

Certes, le Conseil constitutionnel est reprochable. On peut parler d’un quasi-consensus chez les constitutionnalistes pour dénoncer sa composition, baroque par rapport à celle de nos voisins : les membres dits de droit que sont les anciens présidents de la République, même si depuis quelques années la règle est largement formelle ; l’absence de conditions, notamment en termes d’études et de carrière juridique, pour être membre nommé. Le Conseil est aujourd’hui unique dans son genre : pas de professeur des facultés de droit, peu de juristes, un tir groupé d’anciens fonctionnaires et/ou hommes politiques professionnels. La polémique autour de l’actuel président de l’institution, formé juridiquement durant deux petites années en faculté, serait inimaginable dans la plupart des États de droit.

Ce n’est pas tout. Certains quotidiens de gauche n’ont pas manqué de railler les hommes politiques de droite qui s’étaient récriés devant les dernières décisions du Conseil, alors même que ce sont des gouvernants de droite et du centre qui l’ont créé, puis renforcé. Qui, en effet, a érigé le Conseil en 1958 ? Qui en avait désigné les membres et notamment le président, eux qui ont rendu au début des années 1970 des décisions fondées sur ce que l’on a appelé le bloc de constitutionnalité ? Qui a élargi successivement les autorités de saisine avec le contrôle de constitutionnalité des voix ouvert aux parlementaires, puis aux simples justiciables avec la question prioritaire de constitutionnalité ?

Le problème des textes de référence est également central et on peut poser une nouvelle question : qui a fait entériner la charte de l’environnement, si ce n’est Jacques Chirac ? Quelques mauvaises langues ont relevé que Laurent Wauquiez, à la pointe du combat contre le Conseil ces derniers temps, n’avait pas hésité à voter en faveur du texte constitutionnel en 2005…

Oui, le corpus sur lequel s’appuie le Conseil constitutionnel est défectueux et il lui donne une latitude d’interprétation plus qu’excessive. N’oublions pas qu’il appartient aux juristes en général et aux juges en particulier d’interpréter les textes. Et comme l’écrivait joliment Jean Giraudoux, «le droit est la plus puissante école de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité». Mais on comprend bien que si l’on multiplie les textes, au surplus contradictoires, on centuple par là même les ressorts à la disposition des juges. Or, le préambule de la Constitution de 1958 se réfère non seulement à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, d’inspiration libérale nonobstant son légicentrisme, mais également au préambule de la Constitution de 1946, d’inspiration marxiste.

Lorsqu’il a rendu, dans le contexte du socialisme triomphant, sa grande décision de 1982 sur les nationalisations, le Conseil a choisi de ne pas faire primer un texte sur l’autre, mais de concilier les droits. La défense du droit de propriété en est venue à voisiner avec sa violation ! Les choses se sont aggravées avec l’adoption de la charte de l’environnement dont l’inspiration, là encore, n’est guère libérale, à commencer par son sulfureux principe de précaution.

Pour autant, le bébé doit-il être jeté avec l’eau du bain ? Autrement dit, la justice constitutionnelle doit-elle disparaître ou, du moins, être marginalisée au profit de la «souveraineté de peuple» ? Ce serait une grave erreur.

Les principes fondamentaux posés par les grands constitutionnalistes libéraux du XIXe siècle , à commencer par Benjamin Constant et son disciple Édouard Laboulaye, n’ont pas pris une ride. À leur base se trouve une définition bien particulière de la Constitution. Celle-ci ne se conçoit pas comme un simple document technique qui organise des fonctions entre des organes plus ou moins interdépendants, comme le pensent les juristes positivistes et socialistes. Elle se comprend avant tout comme un instrument contre l’arbitraire, une garantie de la liberté, un moyen d’enserrer le pouvoir afin qu’il n’empiète pas sur la sphère des individus et de la société civile.

Dès lors, et contrairement aux lieux communs actuels des populistes de tous poils, il ne saurait y avoir, d’une part, d’absoluité de la souveraineté populaire et, d’autre part, de délégation, encore moins de captation à leur profit, de cette souveraineté par les parlementaires, qui ne se situent donc pas au-dessus de la Constitution.

C’est ce qu’avaient déjà compris les Pères fondateurs de la Constitution américaine dans les années 1770-1780. En effet, ils avaient pu constater après la proclamation de l’Indépendance les effets délétères de la «souveraineté parlementaire», entre corruption, passe-droits et démagogie, dans les assemblées des anciennes colonies anglaises d’Amérique. Aussi ont-ils inventé le contrôle de constitutionnalité des lois, avant d’interdire carrément au Congrès des États-Unis de faire des lois dans certaines matières.

Contrairement là encore aux lieux communs actuels des populistes, la démocratie n’est pas toujours un bien : elle peut verser dans la tyrannie. Et la justice constitutionnelle représente justement un frein à la démocratie tyrannique. Ce frein est un élément essentiel de la démocratie libérale, à laquelle nous devons tenir comme à la prunelle de nos yeux.

Illustration de couverture Le Conseil constitutionnel, ©HJBC / stock.adobe.com via lefigaro.fr

20 réponses

  1. Autant un particulier devant la Justice peut avoir accès à des voies de recours (Cour d’Appel, Cour de Cassation), autant l’État ne peut se pourvoir en Appel face à une décision du Conseil d’État ou du Conseil Constitutionnel. Or, ces Institutions ne seront jamais exemptes de doutes quant à leur infaillibilité (décisions rendues par des humains), ou leur objectivité (membres non élus, pouvant user de leurs convictions politiques personnelles). Il faudrait qu’en cas de désaccord entre l’État et la Cour Suprême, une voie de recours existe, celle par laquelle un référendum permettrait au Peuple de dire qui, de l’État ou de la Cour, doit avoir raison.

  2. Le principe du contrôle constitutionnel n’est pas mis en cause. Il doit simplement se limiter à son rôle prévu par la constitution de 1958. Par contre que neuf personnes nommées et qui ne sont pas des juges, fassent et défassent les lois en se substituant aux 900 élus du peuple, sur la base d’arguments incompréhensibles, est un danger pour la démocratie. Le gouvernement des juges n’est pas garant d’un État de droit, bien au contraire.

    1. La démocratie n’est pas une panacée. Les libéraux plaident en faveur d’une démocratie libérale.

  3. Excellente analyse et conclusion, on ne peut être que d’accord.
    Mais alors que faire contre l’arbitraire?
    Allez voir du côté de la Suisse, et de leur tribunal fédéral. Leur démocratie paraît bien plus efficace que la notre!

  4. Un conseil constitutionnel est en effet nécessaire, mais il doit être composé de juristes spécialisé en droit constitutionnel et non de politiques dont les combats antérieurs font douter de leur impartialité. Enfin il faut cesser de mettre tout et n’importe quoi dans la constitution comme certains présidents en mal de crédibilité l’ont fait pour tenter de redorer leur blason. Un texte juridique de ce niveau ne peut pas être un fourre tout. Par ailleurs il faut redonner au Conseil le soin de vérifier la conformité des textes avec la constitution et rien que la constitution sans son préambule ni quelque autre texte que ce soit.

  5. Pour que le Conseil Constitutionnel ait une crédibilité il faudrait arrêter de nommer des politiques SOCIALISTES en son sein.
    Pour ma part, je n’ai aucune confiance dans ses décisions et moscovici n’a fait que renforcer mon avis.
    Il est grand temps de revoir de fond en comble sa composition et son fonctionnement.

  6. Bonjour
    Il en va du Conseil Constitutionnel comme de la cour des comptes. Des décisions inappropriées ou un laxisme persistant ne doivent pas faire disparaître ces organismes essentiel pour une démocratie digne de ce nom.

  7. Assurément mais à la double condition que le Conseil soit composé de membres compétents , ce qui n’est actuellement pas le cas , et qu’il limite son action a ce qui a conduit à sa création la nécessité de contrôler les effets de la démocratie .
    Chirac a commis entre autre une grave erreur avec l’introduction de ce principe de précaution qui tuera notre agriculture .

  8. Mr Feldman ignore dans sa théorie ,la volonté du peuple représentée par des députés élus avec leur programme politique . Lorsqu’une loi est rétorquée par le conseil , celle ci devrait être validée par un référendum . Le conseil doit être consultatif et ne peut pas devenir un exécutif .

    1. Si le Parlement vote n’importe quoi et que le Conseil constitutionnel invalide la loi, le « peuple » devra-t-il trancher ? Imaginez qu’un extrémiste devienne Président de la République…

  9. Le Conseil Constitutionnel, en France, n’a pas été imaginé comme une cour (d’où son nom) mais comme une simple chambre de validation et d’enregistrement des lois produites par les représentants démocratiquement élus du peuple dont la souveraineté, aux yeux des fondateurs de la Cinquième République, était suprême : d’abord le peuple, ensuite l’État, enfin les juges (dont le rôle est, en France, d’être « la bouche de la Loi », soit de la rendre, pas de « l’interpréter »).

    Cet ordre s’est inversé au fur et à mesure des réformes successives et souvent auto-engendrées du Conseil Constitutionnel : il faut tout simplement les balayer toutes d’un revers de main et revenir aux institutions d’origine de la Cinquième République.

    Et il ne faut ne surtout pas s’inspirer du modèle anglo-saxon dont le champion, la Cour Suprême des États-Unis d’Amérique, a tout simplement interdit au peuple américain de s’exprimer, par exemple, sur le sujet de l’avortement pendant cinquante ans, d’après une interprétation toute personnelle, et partisane, de la Constitution. Parce que les juges non plus ne sont pas neutres et qu’il est impensable, dans n’importe quelle démocratie, qu’un vulgaire quarteron de juristes, si diplômés soient-ils, aient à la fin des fins plus de pouvoir que la majorité ou se permette de lui dicter ce qu’elle a le droit ou non de voter.

    À vouloir être plus libéral que démocrate, on aboutit exactement à ce que nous avons sous les yeux : des juges qui s’emparent du pouvoir (car ce n’est pas que du Conseil Constitutionnel ni que de la France qu’il s’agit) et instaurent, en lieu et place de la démocratie, la tyrannie d’une infime minorité partisane et militante. Avec tous les outils à leur disposition pour le faire et le risque d’exaspération et de soulèvement de la population que cela comporte.

    1. N’oublions pas que la majorité est dangereuse et qu’elle peut violer les droits de la plus petite des minorités, l’individu.

  10.  » Pour autant, le bébé doit-il être jeté avec l’eau du bain ?  » !!
    Pas le bébé mais « les parrains » qui, gravitent autour de son berceau, et usent et abusent « du droit » pour sanctionner un gouvernement ou des textes de loi votés par les représentants du peuple, élus par le peuple et pour le peuple. Point barre. J’ajoute, pour terminer qu’il faudrait, dans le même temps, museler « les sages » du conseil d’état.

  11. Donc tout va bien si on lit cette analyse !!! Or, nous avons quand même un problème de politisation des juges constitutionnels, problème inévitable puisqu’on a élargi leur champ de compétence. A mon sens, soit on réforme la Constitution pour ramener le champ de compétence du CC au strict respect des articles de la Constitution en excluant les préambules qui relèvent du verbiage politique, soit on permet au gouvernement de recourir au référendum (art.11), sur les sujets économiques, sociaux, ce qui est inscrit dans le texte de l’art.11, en ne permettant pas au CC d’invalider une telle loi référendaire (FABIUS voulait invalider à propos d’un référendum sur l’immigration !). Il faudrait aussi élargir le champ de l’art.11 en incluant « toute question touchant à la souveraineté de l’Etat ».
    En fait, il faut faire ces trois réformes à la fois et donc modifier la Constitution dans ce sens ! Amis Patriotes au travail !!!

  12. Certe un conseil constitutionnel est nécessaire, mais ne doit pas être constitué de politiciens.
    Il est actuellement aux mains du Parti socialiste qui s’en sert pour écraser ses opposants.

  13. Je ne mets pas en cause l’existence de l’institution, simplement il me semble que le fait d’être nommés, ne rend pas ses membres impartiaux. Quant à leurs compétences en matière de constitutionnalité, je trouve qu’elles son sujettes à caution.
    Par ailleurs et bien que ce ne soit pas le sujet, la question de leur rémunération n’est pas tranchée pour ce qui concerne le supplément qui leur a été accordé par une simple lettre ministérielle de madame Parly qui n’ aucune force de loi et devrait être discutée sous l’aspect constitutionnel me semble-t-il puisque aucune juridiction n’a accepté de le faire. Ponce Pilate ne serait pas mort ?

  14. Bonjour.
    Merci à Monsieur Feldman pour cet article qui décrit la nécessité d’un « super-contrôle » par cette institution et qui souligne qu’elle est aujourd’hui totalement manipulée par les zozos incultes élus quasiment par défaut depuis au moins 2002.
    Sincères salutations et bon courage pour continuer à nous éclairer dans l’obscurantisme ambiant.

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