Les penseurs du libéralisme – Jean-Gustave Courcelle-Seneuil et l’héritage de la Révolution française

Temps de lecture : 4 minutes

Jean-Gustave Courcelle-Seneuil (1813-1892) est un économiste. A la suite du coup d’Etat du 2 décembre, il devient entre 1852 et 1862 professeur d’économie à l’Université de Santiago du Chili. En sa qualité de conseiller du ministre des Finances, il inspire la loi bancaire chilienne du 23 juillet 1860 qui instaure un système, aujourd’hui encore controversé, de banques libres à réserves fractionnaires -un système qui se distingue de celui avec obligation à 100 % de réserves. Revenu en France, il est le rédacteur en chef du Journal des Economistes jusqu’en 1880. Il devient conseiller d’Etat en 1879, puis membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1882.

La critique du protectionnisme

Protection et libre-échange de 1879 met en scène, selon un schéma classique chez les libéraux depuis Frédéric Bastiat, une discussion entre un député, peu au fait de la chose économique, et un commerçant avisé, pleinement libéral. Courcelle-Seneuil vise en fait le lobbying des filateurs qui tente d’arracher au Parlement une protection contre la concurrence étrangère. Continuateur de Bastiat, sans grande originalité, il faut le reconnaitre, il démonte, non sans mordant, un par un les arguments des protectionnistes.

Courcelle-Seneuil part de l’idée que la question protectionniste est beaucoup plus intérieure qu’extérieure. Proclamée par la Révolution française, la liberté du travail induit que le rôle de l’Etat se limite à la protection de la justice et de l’égalité -entendue au sens de l’égalité en droit-. Dès lors, « pourquoi, contre toute justice, en violation du principe d’égalité, l’État favoriserait-il les filateurs au détriment des autres citoyens ? » Courcelle-Seneuil écarte les arguments classiques de la défense de l’industrie nationale, de la balance du commerce ou encore des sentiments patriotiques.

Courcelle-Seneuil use également d’un contre-argument de type épistémologique qui anticipe la critique hayekienne de la présomption fatale, avant d’anticiper cette fois l’Ecole des choix publics par sa critique de ce qui sera appelé bien plus tard le marché politique. En effet, « pour intervenir utilement dans l’industrie, il faudrait que le législateur possédât les connaissances nécessaires ». Or, comment un Etat, notoirement incapable d’administrer un patrimoine, détiendrait-il la capacité, autrement supérieure, de juger s’il convient de développer telle branche d’industrie ou d’acheter telle marchandise ? Courcelle-Seneuil résume ses propos en une phrase : « Il serait monstrueux qu’après avoir proclamé la liberté du travail (sous la Révolution française), le législateur vînt, par un acte arbitraire, prélever une part des revenus légitimement gagnés par la plupart des industries pour l’attribuer à des industriels qui se déclarent incapables de vivre par le travail libre ».

L’éloge de la Révolution française 

Courcelle-Seneuil fonde ainsi en 1879 sa défense du libre-échange sur la liberté du travail, heureusement proclamée par la Révolution française. En 1868, il avait déjà glorifié cette dernière par le truchement de sa conquête essentielle : la liberté du travail, en contrepoint du socialisme qui tendait « à une réforme de la société par des arrangements nouveaux de travail et d’appropriation des richesses ». Dans Liberté et socialisme ou Discussion des principes de l’organisation du travail industriel, il avait synthétisé l’apport de l’Assemblée constituante par sa condamnation des règlements et corporations : fin de la direction de l’industrie par l’Etat ; professions également ouvertes à tous ; marchandises à produire décidées par les goûts, les moyens et les préférences des consommateurs ; enfin, liberté contractuelle. Mais si l’éloge de la Révolution française n’était qu’incident dans ce livre, il devient le sujet même de l’ouvrage que Courcelle-Seneuil publie en 1872. Dans L’Héritage de la Révolution, sous-titré Questions constitutionnelles, l’auteur rappelle en préface son parcours républicain jusqu’au coup d’Etat du 2 décembre. Il considère que le parti républicain a fait fausse route depuis lors et méconnu l’œuvre de la Révolution, si bien qu’il est « urgent de relever le vieux drapeau libéral de 1789, insulté par les ennemis de la Révolution et abandonné par ses amis ».

Courcelle-Seneuil explicite en liminaire ce qui constitue l’objet de son ouvrage, l’héritage de la Révolution française : libertés individuelle, religieuse et philosophique, des cultes, de réunion et de discussion, de l’enseignement, du travail, des échanges et des contrats ; respect et défense de la propriété acquise par le travail, l’échange et l’héritage ; administration des intérêts locaux par les habitants des localités ; réduction de l’armée permanente et armement de la nation ; suprématie du pouvoir législatif et indépendance du pouvoir judiciaire. La suite de l’ouvrage va s’employer à décliner l’ensemble de ces points.

Chemin faisant, Courcelle-Seneuil définit les limites de l’Etat. Un objet dont il regrette dans l’introduction qu’il ait été négligé au profit de la constitution des pouvoirs et de la question de savoir qui en serait investi. Au gouvernement national, les relations extérieures, la confection des lois, l’administration de la justice, la levée des impôts nationaux, le service de la dette publique, la consommation et l’entretien des propriétés nationales, l’administration des armées. Au niveau local, en vertu d’un principe de subsidiarité qui ne dit pas son nom, l’administration, indépendante de toute tutelle, des affaires locales. A ces compétences d’attribution s’ajoute une zone grise de compétences partagées aux niveaux national et local et ce, dans deux domaines : la surveillance des « établissements d’instruction et d’assistance fondés et soutenus aux frais des contribuables » ; la pleine et loyale exécution des lois.

En fait, Courcelle-Seneuil prononce l’éloge de la Révolution française et du républicanisme dans la perspective d’une nouvelle organisation des pouvoirs. En effet, l’ouvrage paraît en 1872, donc juste après la Commune et dans une période d’indétermination constitutionnelle. Cet éloge est unilatéral : la Révolution française semble être un bloc, et un bloc libéral, du moins jusqu’à l’an VIII et à la dictature de Bonaparte. Quant aux évènements de 1793-1794, ils sont étrangement passés sous silence. La Constitution républicaine prônée revient à un législatif surpuissant, un exécutif subordonné -à l’encontre d’un Constant ou d’un Laboulaye- et un judiciaire très fort, cependant avec beaucoup de brume autour d’un contrôle de constitutionnalité des lois qui n’existe pas, mais que les juges ordinaires semblent finalement exercer.

Libéral économiquement, Courcelle-Seneuil réduit en gros l’Etat à ses fonctions régaliennes, plus une assistance publique limitée et un enseignement primaire « gratuit » auquel s’ajoute de manière fort imprécise un enseignement supérieur d’Etat limité. Ne trouvent grâce aux yeux de Courcelle-Seneuil, critique radical de l’Ancien Régime, des Napoléons et de la monarchie de Juillet, que la Révolution et, sans qu’il le développe, la Restauration, ce qui ne manque pas d’étonner.

2 réponses

  1. Ce cher monsieur ne semble pas avoir su exprimer clairement une pensée dans laquelle on retrouve , me semble-t-il, quelques bonnes idées comme la liberté d’entreprendre et de posséder par le fruit de son travail mais il paraît manquer dans tout ses songes une idée précise des limites du pouvoir de l’Etat qu’il cantonne heureusement au régalien.
    Il ne paraît envisager de limites au pouvoir de ponctionner , de prélever , de prendre dans votre poche . Autant dire que l’Etat jouit de touts les droits sans limites , tel le proxénète . Qu’y a-t-il d’anormal à ce que cet incapable de produire de la richesse s’octroie la vôtre à hauteur de 50% de votre valeur ?
    Et vous parlez ensuite de République , de Liberté , d’Egalité et de Fraternité ?

  2. L’abolition des corporations, donc des syndicats, a entrainé la misère ouvrière du XIXème siècle, donc la naissance du marxisme et du communisme. De plus la terreur de 1793-94 a donné une légitimité à la dictature du prolétariat et aux goulags communistes du XXème siècle.

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