« Faire des concessions ? Oui, c’est un point de vue – mais sur un cimetière », brocardait Sacha Guitry. La petite musique lancinante des constitutionnalistes en cours et des hommes politiques intéressés est de prôner la représentation proportionnelle afin que des compromis puissent être construits et que nous ne nous trouvions plus dans une situation de blocage politique telle que nous la vivons. Il s’agit à nos yeux d’une fausse bonne idée.
La représentation proportionnelle et les nécessaires compromis
Le 31 août, dans un entretien au Monde, François Bayrou estimait que la représentation proportionnelle permettrait aux parlementaires de se voir comme de « potentiels partenaires » et non plus dans une logique de conflits. Clément Beaune, l’ancien ministre de gauche, opinait : « Elle permettra la coopération responsable plus que la confrontation stérile ».
L’idée semblait déjà faire l’unanimité chez les constitutionnalistes (de gauche) interrogés par La Croix (« Des pistes pour réduire l’instabilité politique », 30 août 2024). Favorable à des « alliances », l’historien Jean Garrigues prétendait lui aussi que la représentation proportionnelle impliquait « de travailler à des coalitions avec des partenaires ». Il ajoutait : « La grande vertu de cette réforme, ce serait d’installer la pratique du compromis qui s’inscrit dans un temps long », la dernière partie de la phrase étant pour le moins contestable, pour ne pas dire problématique.
La fin des alternances véritables
Les extrémistes de droite comme de gauche hors-jeu, les coalitions prônées se réduiraient aux partis de la droite à la gauche, en tout cas à ceux qui voudraient bien participer au pouvoir (« aller à la soupe », diraient les plus critiques). Comme il y aurait peu de changements à prévoir dans les futurs gouvernements, le seul intérêt des élections générales reviendrait à savoir si la coalition serait dirigée par un homme politique centriste, de droite ou de gauche afin de former un gouvernement de centre droit ou de centre gauche.
Dès lors, les vraies alternances joueraient le rôle de l’arlésienne. Premier problème majeur, soigneusement oublié par les partisans de cette belle idée.
Les « tripatouillages » des états-majors des partis politiques à l’issue des élections
Mais il y a pire. Les coalitions seraient en fait décidées au vu du résultat des élections par « tripatouillage » entre les états-majors des partis politiques. En effet, contrairement au système britannique, dans lequel, au sein de chaque circonscription, les électeurs votent non seulement pour leur député mais également, de manière implicite mais en toute transparence, pour leur futur Premier ministre, à savoir le chef du parti victorieux, le « peuple » serait largement dépossédé de sa « souveraineté ». Les électeurs voteraient pour le candidat d’un parti, mais ils ne sauraient pas quelle serait la politique finalement suivie par le futur gouvernement, quels partis formeraient la coalition gouvernementale, quelle serait la couleur de cette dernière.
On comprend bien que les extrémistes du centre, François Bayrou en tête, réclament à cor et à cri la représentation proportionnelle depuis si longtemps. Ils feraient la pluie et le beau temps des coalitions en multipliant les maroquins. Au gouvernement Bayrou VII succèderait le gouvernement Attal V, Bertrand III, Philippe IV ou Pradié II. La situation serait pour l’essentiel à chaque fois cristallisée.
Avec pareille mesure, une « révolution conservatrice » aurait d’ailleurs été impossible dans les divers pays anglo-saxons. Ce qui est d’ailleurs piquant, c’est que des personnes autoproclamées « progressistes » soutiennent des politiques de compromis, alors même que celles-ci verseraient dans le conservatisme (au sens continental du terme), autrement dit l’immobilisme.
Qu’est-ce qui pourrait bien ressortir d’un gouvernement Bayrou, flanqué pour ministres d’un Gabriel Attal, d’un Xavier Bertrand, d’un Bernard Cazeneuve, d’un Edouard Philippe et d’un Aurélien Pradié ? Pour ne prendre que quelques exemples, comment des « gouvernements de compromis » pourraient-ils résoudre le problème des finances publiques, celui de l’école ou encore celui des hôpitaux ou celui des retraites ?