Lors de sa réunion mensuelle du mercredi 18 juin, pour le quatrième mois consécutif, la Réserve Fédérale américaine a décidé de maintenir ses taux d’intérêt à leur niveau actuel. Au cours de la conférence de presse qui a suivi, son Président, Jérôme Powell a présenté les raisons qui motivent cette décision. Que faut-il en penser ? Réponse en huit points.
- Une Fed désorientée, sans cap clair
Sans surprise, la Fed n’a pas modifié ses taux directeurs. C’était attendu. Mais ce qui frappe est l’aveu flagrant d’ignorance de la part de Jerome Powell, qui a reconnu que la Fed « n’avait aucune confiance » dans ses propres prévisions. L’institution ne sait pas quoi faire, ni quand réagir, ce qui la condamne à l’attentisme. Cette attitude est la preuve d’un déclin intellectuel profond de la Réserve fédérale.
- Des prévisions économiques qui frôlent la récession
La Fed a abaissé ses projections de croissance pour 2025 à 1,2–1,5 %, une fourchette qui, historiquement, correspond presque toujours à une récession. Elle anticipe également une légère hausse du chômage. Officiellement, l’inflation reste l’obstacle principal à une baisse de taux. Mais la hausse des prix à la consommation s’est stabilisée depuis trois ans, alors que c’est la croissance qui est de plus en plus le sujet d’inquiétude.
- L’inflation : une obsession injustifiée
Depuis mi-2022, l’indice des prix à la consommation est remarquablement stable, une fois corrigé de l’effet des loyers. L’idée que les tarifs douaniers feraient repartir l’inflation est jusqu’à présent contredite par les faits. Pour que cela se vérifie, il faudrait que la hausse des droits de douane déclenche un phénomène classique de course poursuite prix-salaires. Ce qui est loin d’être un sujet d’actualité. Accrochée à son modèle de « courbe de Philips »[1], la Fed continue de s’enfermer dans un faux problème qu’elle ne comprend pas en raison de son incapacité à bien faire la distinction entre « inflation » et « choc de prix »[2]
- Le marché du travail se détériore en silence
La réalité est que la demande de travail chute dangereusement. Le taux de chômage est le rapport entre le nombre de chômeurs et le chiffre de la population active. La caractéristique de l’économie américaine est qu’en période prolongée de ralentissement économique, faute de perspectives d’emploi, une part croissante de la population sort volontairement de la population active. Il en résulte que les chiffres d’emploi mensuels habituellement utilisés sont systématiquement surestimés, et donc trompeurs. Le taux de chômage calculé peut ainsi rester parfaitement stable (les 4,2% actuels) alors même que l’économie ralentit (et que le vrai chômage serait plutôt aux environs de 5%). Les autorités restent ainsi ancrées dans une vision faussement embellie [3].
- Le consommateur américain montre des signes de retrait
Les ventes au détail stagnent voire reculent (en termes réels). Depuis janvier tous les mois (sauf un) sont négatifs. Le rebond de mars était artificiel (achats anticipés de véhicules). En mai, le repli a été marqué, confirmant que les ménages américains adaptent leurs dépenses à une réalité salariale moins favorable. Cette contraction de la consommation corrobore les observations sur l’affaiblissement du marché du travail. L’image d’une économie américaine bizarrement résiliente que Powell s’efforce de maintenir à tout prix correspond de moins en moins à la réalité. La vérité est que les chiffres révèlent un état économique d’une fragilité croissante.
- Le retour du spectre du plafond de la dette
La tension sur les bons du Trésor à court terme indique que les marchés anticipent déjà une nouvelle crise autour du plafond de la dette dès le mois d’août. Cela ajoute une incertitude monétaire à une conjoncture économique déjà fragile, et pourrait provoquer de nouvelles secousses financières.
- Un remake de 2024, en pire
Il existe une grande similitude avec l’année 2024, où la Fed avait nié la réalité du ralentissement jusqu’à ce que les marchés la forcent à réagir au cours de l’été (septembre). En 2025, la situation est plus dégradée, sans les soutiens artificiels de fin 2024. Tous les indicateurs convergent vers une même conclusion : les taux devront baisser, même si la Fed feint encore de l’ignorer.
- La Fed ne contrôle pas l’économie. Elle la reflète.
Faut-il s’en réjouir ? Faut-il s’en inquiéter ? En réalité, ni l’un ni l’autre. Cela n’a aucune importance. Les taux ne sont pas un instrument de gestion économique (relance ou freinage). Ils ne sont qu’un signal qui indique la direction que suit l’économie. Même une baisse immédiate des taux ne suffirait pas à éviter le ralentissement. Le danger est déjà dans les tuyaux. La Fed a un rôle de sismographe, pas de pilote.
Conclusion
La grande leçon de cette réunion du FOMC n’est pas technique, mais institutionnelle. En reconnaissant son impuissance analytique, la Fed admet qu’elle ne dirige plus rien.
[1]   La courbe de Phillips est une théorie qui postule une relation inverse entre chômage et inflation : lorsque le chômage baisse, l’inflation tend à augmenter, et inversement. Cette relation suppose que la pression sur les salaires s’accentue automatiquement dès lors que le taux de chômage est jugé « bas ». D’où cette crainte obsessionnelle de la Fed concernant une reprise de l’inflation.
[2]   L’inflation désigne une hausse générale et durable des prix dans l’économie, alimentée par une expansion monétaire. En revanche, un choc de prix (ou price spike) correspond à une augmentation soudaine et localisée du prix d’un bien ou d’une série de biens — comme le pétrole ou les denrées alimentaires — liée à un événement externe (guerre, embargo, épidémie, sécheresse), sans que cela reflète une dynamique inflationniste globale. Si la masse monétaire reste stable, un choc de prix réduit les capacité d’acheter les autres produits. L’effet final est une chute du pouvoir d’achat des consommateurs les moins favorisés, et aussi une moindre embauche par les entreprises.
[3]   Un exemple : en un mois on a compté la disparition de 700 000 emplois. Mais dans le même temps le chiffre de la population active a lui aussi diminué de près de 700 000. Résultat : taux de chômage constant, alors que la situation de l’emploi e a empiré.
2 commentaires
Pour le point 1, le monde entier partage l’incertitude de Powell, suite à l’imprévisibilité de la politique de la Maison-Blanche et aux bouleversements que le commerce mondial connait actuellement pour cette raison
Et Powell a clairement dit que c’était l’incertitude sur les droits de douane qui rendait les prévisions douteuses : il aurait fallu au moins le mentionner
Merci pour cette analyse complète. Donald TRUMP avait finalement un peu raison de plaider pour une baisse des taux…