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Emmanuel Macron, Marine Le Pen et la Constitution

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L’élection présidentielle est propice aux propositions de révision de la Constitution. C’est le moment généralement où le président sortant estime subitement qu’il faut modifier les institutions après un quinquennat vierge à cet égard et où les candidats participent à un concours Lépine des règles constitutionnelles tout en s’empressant, élus, de ne pas les mettre en pratique en s’accommodant avec aisance de ce qui semblait les rebuter. Comme le disait François Mitterrand avec son cynisme coutumier, « les institutions n’étaient pas faites à mon intention, mais elles sont bien faites pour moi »…

La morne campagne du premier tour avait mis sur la touche l’aspect institutionnel comme la plupart des autres sujets. Mais au second tour, les deux candidats se déchaînent et se rendent coup pour coup en multipliant les propositions de révision constitutionnelle. Or, si l’on a beaucoup critiqué les propositions de Marine Le Pen, et à juste titre, celles du Président doivent retenir tout autant l’attention et même plus encore.

Le populisme constitutionnel de Marine Le Pen

Marine Le Pen peut s’enorgueillir d’avoir soutenu depuis bien des années certaines des propositions qu’elle a émises lors de la présente campagne et ce, d’autant plus qu’elles appartenaient déjà à l’ADN du Front National.

Ainsi la candidate d’extrême-droite appelle-t-elle à une « révolution référendaire » en rendant la parole au « peuple ». Il s’agit en fait de contourner le Parlement, et en premier lieu le Sénat, appelé à jouer un rôle essentiel selon l’article 89 de la Constitution. Il s’agirait donc d’user de l’article 11, consacré aux référendums législatifs, à l’image du général de Gaulle. Une inspiration d’autant plus gaullienne -ce qui est tout de même paradoxal s’agissant d’une candidate d’extrême-droite !- qu’elle n’a pas exclu d’engager directement sa responsabilité sur la « bonne » réponse à une question référendaire.

Comme en 1962, puis en 1969, la plupart des constitutionnalistes se sont récriés devant le détournement de procédure, tout en rappelant que la jurisprudence du Conseil constitutionnel avait changé dans le sens d’un éventuel contrôle des opérations référendaires. Ils ont en conclu que la procédure souhaitée par Marine Le Pen serait impossible à mener.

Mais si les juristes se sont penchés sur ces arguments textuels, ils ont souvent délaissé les propositions de référendum émises précisément par la candidate, à commencer par le principe de priorité nationale. Dans l’esprit de Marine Le Pen, il faudrait favoriser les « Français de souche », même si l’expression n’est pas utilisée, au regard de la corne d’abondance de l’Etat providence. Une proposition typiquement antilibérale puisqu’il ne s’agit pas de briser l’Etat providence, mais d’en réserver les fruits à certaines catégories de la population sur le territoire national.

Autre proposition populiste : le référendum d’initiative populaire, dit RIC, cher à un certain nombre de « gilets jaunes ». Le seuil serait bas puisqu’il suffirait de 500 000 signatures pour commencer le processus référendaire.

L’opportunisme constitutionnel d’Emmanuel Macron

Face à l’opposition sénatoriale, Emmanuel Macron n’a pu mettre en œuvre aucune réforme constitutionnelle lors de son premier quinquennat. Pas sûr qu’il s’en lamente puisque l’important était que Jupiter demeure (un) Dieu tout puissant.

La béance de son programme du premier tour, fidèle en cela à la vacuité de son programme de 2017, a fait place dans l’entre-deux-tours à une fièvre réformatrice en matière constitutionnelle. Ainsi le Président n’a-t-il pas exclu la tenue d’un certain nombre de référendums, par exemple sur la fin de vie (un sujet qui ne passionnera pas une grande partie des Français) ou sur la réforme des retraites (on ne voit pas très bien comment les Français pourraient décider sur un sujet aussi technique et complexe). Mais il est vrai que la pêche aux mélenchonnistes bat son plein….

Le Président, sans doute échaudé malgré tout par ses passes d’armes avec le Sénat, a proposé qu’une « commission transpartisane » regroupant toutes les sensibilités politiques, fasse des propositions qui seraient soumises au Parlement. Méthode étrange puisque le seul moyen d’aboutir à des projets cohérents en matière constitutionnelle est de constituer une commission restreinte, méthode certes peu démocratique, mais efficace, la représentation nationale et/ou le peuple se prononçant ensuite démocratiquement. On ne saisit pas en effet comment une commission regroupant des extrémistes de droite et de gauche, des conservateurs, des centristes, des socialistes, etc., pourrait aboutir à quelque chose de conséquent. Il s’agirait d’une sorte de proposition sous-mélenchonienne, à défaut d’une constituante dramatique portée par le meneur des Insoumis.

Emmanuel Macron a également relancé l’idée d’une « participation citoyenne » (sic)  sur le modèle, pourtant peu convaincant du « Grand débat national ».

La durée du mandat présidentiel

On pensait l’affaire classée depuis la réforme sakorzienne et pourtant  la question de la durée du mandat présidentiel a été soulevée par les deux candidats.

Marine Le Pen propose un septennat non renouvelable. Emmanuel Macron, quant à lui, a ouvert la voie à un septennat renouvelable à partir de 2027, s’attirant ainsi les moqueries de ceux qui y voient un moyen d’écarter pour lui-même la règle du quinquennat non renouvelable à l’image des républiques bananières ou du régime poutinien….

La question de la durée du mandat est en fait double : la durée initiale et l’éventualité d’un renouvellement. L’idée d’un mandat non renouvelable est-elle judicieuse ? Des arguments de valeur s’opposent : le caractère unique du mandat permet de se débarrasser plus rapidement d’un incompétent et il nous aurait ainsi évité les désastres des Chirac et autre Mitterrand en fin de vie. Mais, d’un autre côté, la règle interdit la présence au pouvoir d’une personne compétente sur une longue durée (argument qui fera sans doute sourire beaucoup de lecteurs au regard de la qualité de nos chefs d’Etat successifs…). Un autre raisonnement, plus fort, renvoie à l’absence d’influence du président lors des derniers temps de son mandat, puisqu’il ne peut se représenter, phénomène dit du « lame duck » aux Etats-Unis. En réalité, la durée du mandat n’est qu’un élément du puzzle constitutionnel et il est étonnant que des candidats en traitent sans vision large des institutions.

La proportionnelle et ses dangers

Là encore, Marine Le Pen peut exciper de la constance de ses idées. En effet, elle est de longue date partisane de la représentation proportionnelle aux élections législatives, en continuité avec l’ADN du Front national. Emmanuel Macron, girouette toujours imprévisible, a parlé de manière assez légère du sujet, en n’excluant pas même à plusieurs reprises une proportionnelle intégrale (lorgnerait-il l’électorat de Philippe Poutou ?…).

Une nouvelle fois, on ne peut qu’être abasourdi par la désinvolture avec laquelle nos hommes politiques traitent de sujets majeurs en matière institutionnelle. Instiller une « dose » de proportionnelle, comme l’avait évoqué le Président actuel en 2017, n’aurait que peu d’impact. On a pu calculer à plusieurs reprises que le Rassemblement national n’aurait que quelques députés, au mieux quelques petites dizaines, avec ce mode de scrutin, bien loin du pourcentage total de votes recueillis dans l’ensemble des circonscriptions. De là, la suggestion d’une proportionnelle intégrale qui serait autrement à même de refléter la diversité des opinions dans le pays.

Le problème est en fait le suivant : s’agit-il de prévoir une représentation-miroir qui entende épouser très finement les nuances politiques du pays ? ou, dans le cadre d’un régime parlementaire, d’assurer la stabilité gouvernementale avec une majorité cohérente ? Il semble que les partisans de la représentation proportionnelle aient tendance à oublier le désastre de nos républiques précédentes. Et ils feraient bien de scruter les exemples belge et israélien. Quant au modèle mixte allemand souvent loué -une part majoritaire et une part proportionnelle en réalité prépondérante-, est-ce vraiment ce que l’on souhaite pour la France ? Les électeurs votent et ils laissent en fait les partis politiques décider seuls ensuite du nom du Chancelier et de la composition du gouvernement.

La représentation proportionnelle cumule les handicaps : une assemblée hors sol ; une souveraineté populaire captée par la souveraineté parlementaire en apparence et par les états-majors des partis politiques en pratique (ce n’est pas un hasard si le général de Gaulle ne l’appréciait pas) ; un jeu de bascule au profit des partis centristes qui font la pluie et le beau temps gouvernementaux (ce n’est pas un hasard non plus si François Bayrou est un chaud partisan de la proportionnelle !) ; une dispersion de force politique. On obombre trop souvent un autre argument, décisif pour les différents types de proportionnelle : le fait que celle-ci favorise le « marché politique » avec son lot de corruption et de favoritisme pour pêcher au vote parlementaire.

Il y a pourtant bien d’autres manières de tenter de corriger la toute-puissance du Président de la République dans notre pays, dont le régime politique constitue une malheureuse exception dans le monde démocratique[1], sans pour autant aboutir à une désastreuse instabilité gouvernementale. A commencer par une lecture différente de notre Constitution pour se défaire de la monarchie républicaine détestable qui nous régit.

S’il faut modifier la Constitution d’une main tremblante, il ne faut pas le faire de manière impressionniste. Cela demande de la hauteur de vue. Décidément, le droit constitutionnel est une matière trop sérieuse pour la laisser aux hommes politiques.

[1] Nous renvoyons à notre ouvrage, Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020.

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3 commentaires

Verdun 21 avril 2022 - 4:59

Cette foire à la criée durant laquelle on évoque même pas le vrai état économique du pays est elle même inconstitutionnelle !

En tant que spécialiste de la fiscalité vous auriez pu le relever !?

Bien à vous

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Picot 21 avril 2022 - 5:09

Emanuel Macron n’a que faire de la Constitution étant donné qu’il l’a violée plusieurs fois, sans même parler du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État. Il fera juste ce qu’il est impossible de camoufler. Passer, par exemple, du Quinquennat au Septennat.

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REMI 24 avril 2022 - 9:46

De fait, la Constitution française, n’est-elle pas devenue un « épiphénomène » de fait au cours de ces derniers mandats présidentiels….?

N’est-elle pas la « balle » de pingpong, dans des parties jouées entre les deux Assemblées, avec pour arbitre un Conseil Constitutionnel, largement « gavé » pour décerner des points aux meilleurs des intérêts convenus…?

Ne tentons pas de parler « matchs truqués « , mais bien d’une organisation établie des enjeux lors des circonstances de match à aménager aux meilleurs des intérêts de celui ou celle qui a été nommé le leader donné, gagnant d’avant match…

Je reste un spectateur confiant dans notre république et donc curieux d’assister aux prochaines rencontres de 2022 à 2027….!

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