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Trop de droit européen tue le droit

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La guerre est déclarée entre l’Union européenne et la Pologne, non sans excès de part et d’autre. Le Tribunal constitutionnel polonais a, le 7 octobre 2021, déclaré partiellement inconstitutionnel le principe de primauté du droit européen. A son tour, la Commission a engagé divers recours en manquement contre la Pologne, tous fondés sur le grief de violation de l’article 19, § 1, al. 2 du TUE, lequel précise que « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». A partir de cette disposition et de références répétées du Traité de l’Union au respect de l’Etat de droit, la Commission a estimé que diverses réformes récentes relatives au recours des tribunaux polonais à la CJUE ou à la nomination, à la mise à la retraite et au contrôle des juges polonais, n’étaient pas conformes au droit de l’Union.

L’Union européenne n’a pas de compétence relative à l’organisation de la justice de chaque pays

Il est exact que le gouvernement conservateur polonais a mis en œuvre des biais pour renouveler le personnel des tribunaux en nommant des magistrats proches de lui. Sa façon d’opérer a eu plus d’élégance que celle des régimes totalitaires coutumiers du fait, mais a relevé des mêmes pratiques attentatoires de l’indépendance des juges. Ce que nous ne pouvons que condamner et regretter. Pour autant, l’Union européenne n’a pas de compétence relative à l’organisation de la justice de chaque pays. D’ailleurs, dans la procédure d’infraction qu’elle a engagée le 22 décembre 2021 à l’encontre de la Pologne, la Commission révèle que sa véritable préoccupation est ailleurs. La Commission considère principalement que les arrêts du Tribunal constitutionnel du 14 juillet 2021 et du 7 octobre 2021 ont violé les principes généraux d’autonomie, de primauté, d’effectivité et d’application uniforme du droit de l’Union, ainsi que l’effet contraignant des arrêts de la Cour de justice. Elle craint que la position de la Pologne soit une arme bientôt utilisée par d’autres pays européens pour réduire l’immixtion croissante du droit européen dans la vie des nations.

La Commission redoute que la justice de chaque pays puisse décider de ne pas appliquer telles ou telles règles européennes analysées comme hors du champ des compétences de l’Union, ce qui serait pourtant en parfaite application du principe d’attribution rappelé par le Traité de l’Union lui-même dans son article 5-2 : « En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. » D’ailleurs, déjà d’autres cours constitutionnelles européennes considèrent que la Constitution ne peut être écartée pour assurer l’application du droit européen. Ainsi, le Conseil constitutionnel français a façonné une réserve de constitutionnalité, lui permettant de censurer les dispositions de directives européennes qui se révéleraient contraires à une disposition expresse de la Constitution (cf. décision du 30 novembre 2006, 2006-543). Mais la Pologne l’a fait avec plus de force et moins de nuances.

A dire vrai, la position de la Commission est fragile. Elle le sait sans doute pour avoir besoin de faire appel, improprement, dans sa procédure d’infraction à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 mai 2021 alors que jusqu’à présent la CJUE a écarté l’adhésion de l’UE à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le Traité de l’Union avait décidé (article 6, 2). Au demeurant, ledit Traité de l’Union indique que les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, font partie du droit de l’Union, mais seulement en tant que principes généraux. Et le Traité précise que « cette adhésion [qui n’est donc pas encore acquise] ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les traités ».

Il est regrettable que la Pologne ne soit pas irréprochable sur sa propre organisation judiciaire

La principale motivation de la Commission dans sa procédure contre la Pologne est donc de veiller à conserver ses compétences et à pouvoir les étendre sous le seul contrôle des institutions européennes elles-mêmes, une forme d’autocontrôle d’elle-même par elle-même en quelque sorte ! Il est essentiel, dit la Commission dans la procédure qu’elle intente, pour le fonctionnement de l’Union dans sa globalité « de s’assurer que les juges nationaux qui sont aussi des « EU juges » puissent remplir leur fonction en application du droit européen et puissent correctement interagir avec la CJUE ». En réalité, la Commission veut faire des juges nationaux des rouages de la justice européenne avant qu’ils soient des magistrats de leur propre pays. Et c’est précisément ce que la Pologne refuse courageusement. Et ce qu’elle me paraît avoir le droit de refuser en fonction du principe de subsidiarité aujourd’hui dévoyé par l’UE alors qu’il devait fonder les rapports de l’Union et ses membres.

Certes, il est regrettable que la Pologne ne soit pas irréprochable sur sa propre organisation judiciaire. Elle serait plus forte pour défendre le droit des nations à s’opposer à toute extension indue des compétences européennes. Mais quant à cette organisation, outre que la CJUE n’a aucune compétence pour interférer avec elle, il serait outrecuidant que celle-ci reproche à un membre de l’UE que ses juges soient contrôlés excessivement par son gouvernement alors que les juges de la CJUE sont eux-mêmes nommés par les gouvernements nationaux. Sans parler des contestations qui ont été levées et reprises par divers parlementaires sur l’indépendance des juges de la CEDH.

A défaut l’excès du droit européen tuera bientôt le droit lui-même et l’Europe.

Demander à la CJUE de se prononcer sur les décisions d’une autre juridiction qui conteste l’extension de ses compétences, c’est demander à une dinde s’il faut continuer à fêter Noël. Il y a un risque évident que la CJUE ait de la difficulté à rester indépendante et impartiale dans ce débat, bien plus grand sans doute que celui dont sont soupçonnées les juridictions polonaises. Il est peut-être temps que les instances européennes retrouvent leur raison et le sens de leurs limites plutôt que de vouloir étendre sans fin leurs pouvoirs à l’encontre même des traités, des traditions et des cultures de chaque pays, autant qu’en méconnaissance de la volonté des peuples. A défaut l’excès du droit européen tuera bientôt le droit lui-même et l’Europe.

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6 commentaires

LAURENT46 10 janvier 2022 - 4:43

Professionnellement j’ai pu remarquer que le conseil de l’Europe de Strasbourg est le premier à ne pas respecter le droit Européen quand cela l’arrange.
Alors donner des leçons aux autres est toujours plus facile que de s’imposer à soi même les règles élémentaires.
Toujours en est-il que dans le contexte l’Europe est encore mal placée pour dicter des règles. L’Europe n’est ni payeur et ne subit pas les contraintes liés à l’émigration tout comme d’ailleurs les règles écolos stupides qu’ils instaurent et qui punissent avant tout la population hors des grandes villes ce qui démontre s’il le faut encore l’immense incompétence et manque de respect de tous ces illustres fonctionnaires envers ceux qui les payent

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Verdun 10 janvier 2022 - 9:47

Quel état est irréprochable, la France peut être ! Comme le faisait remarquer un lecteur, ils sont les premiers à transgresser leurs propres directives et traités ce que je confirme.

C’est une comédie cette ue mis à part pour l’Europe dite du nord qui pilote et se gave.

Selon Contrepoint, ils viennent de sabrer à nouveau le nucléaire au niveau subvention. Il nous faut déjà 5x plus de temps que certains autres acteurs réputés en développement pour créer une centrale. A quand une étude objective sur le retraitement des déchets ?

Bien à vous

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Verdun 10 janvier 2022 - 10:49

En ce qui me concerne, personne n’a fait une affaire internationale d’un classement sans suite arbitraire du tribunal de l’ue puis du conseil d’état en matière de fond européen et de décision admistrative arbitraire de la commission.

Le bien pratique défaut d’intérêt à agir ( dans votre propre procédure administrative) doublé du fameux insusceptible d’être regularisé et le tour est joué.

Ces sanctions contre la Pologne sont évidemment politiques voire dictatoriale pour les puristes mais qu’importe.

Le plus beau c’est qu’étant donné que les voies de recours internes et supranationales ne sont pas notifiée, l’affaire est toujours pendante ; leur serpent se mord la queue.

Vivement le dernier épisode de cette mauvaise série en manque d’inspiration.

Bien à vous

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Obeguyx 10 janvier 2022 - 12:36

L’excès de droit et le manquement aux devoirs sont généralisés en Europe et dans chaque pays. L’Europe (à part l’Euro) est un leurre. Sous domination américaine, elle est le bon toutou de l’Occident. L’Europe n’existe pas. Si elle existait vraiment, il y a longtemps (au moins depuis 15 à 20 ans) qu’elle aurait pris le leadership mondial aussi bien en matière économique que sociale. Elle devrait ainsi être l’arbitre entre les « super puissances » à tendances hégémoniques que sont les USA, la Russie ou la Chine.
Je me soumets en envoyant.

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Verdun 10 janvier 2022 - 1:54

En Europe et probablement dans le reste du monde. Mon commentaire ne vise pas à faire du frensch bashinng ou son équivalent européen. Mais quand les décisions illégales vont à l’inverse du bon sens économique ou environnemental, c’est la double peine incompréhensible.
Bien à vous

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montesquieu 10 janvier 2022 - 3:14

Trop de droit tue le droit et son irrespect tout autant. Les bureaucrates européens l’ont confisqué et la lâcheté des gouvernants élus a permis la pérennité de cet état de fait.
Alors quand un pays refuse d’appliquer les mesures illégales qui lui sont imposées comme la retape dans les écoles des lubies LGBT ou anti chrétiennes ou mettant à mal la sécurité des pays et de leurs ressortissants par ex, ils ne font que leur devoir en toute légalité!

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