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Les liaisons funestes de l’Eglise orthodoxe et de l’Etat russe

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Pour comprendre la guerre d’Ukraine, il faut prendre en compte les différences de mentalité. Les Russes ne raisonnent pas comme les occidentaux. Après avoir abattu le communisme soviétique, une frange de jeunes Russes impatients ont cherché à prendre leur revanche sur le monde en s’enrichissant au-delà de l’outrecuidance. Mais depuis que ces slaves orientaux ont construit et étendu leur nation, ils l’ont fait avec le dédain du peuple et une certaine propension à l’arrogance et à la violence.

Les Russes ne comptent pas leurs morts

« On n’échappe pas à son destin, écrit Giulano da Empoli (Le mage du Kremlin, Nrf, 2022) et celui des Russes est d’être gouverné par les descendants d’Ivan le Terrible ». Pour les Russes, la sphère du pouvoir prévaut toujours sur celle des affaires privées. Ils ont une vision holistique et autocratique du pouvoir, une maladie commune semble-t-il à beaucoup de terres incommensurables et à de nombreux peuples vivant aux bords des très grands fleuves qu’il fallait dompter. Ils sont à ces différents titres encore très éloignés de la nouvelle civilisation occidentale qui défend la démocratie mais voudrait faire la guerre sans avoir de morts. Les Russes ne comptent pas leurs morts.

Pour pénétrer la politique russe, il faut aussi se référer à la religion orthodoxe qui lie le cœur de la nation russe. A l’inverse de l’Eglise catholique romaine soumise à l’autorité papale, les Eglises orthodoxes se revendiquent comme autonomes sur les territoires où elles vivent. Certes, l’Eglise orthodoxe prétend ne former qu’un seul corps dont le chef serait le Christ, mais autour des patriarcats, dont les principaux sont ceux de Constantinople et de Moscou, il existe des Eglises autocéphales et des Eglises autonomes, notamment en Ukraine. Ces églises orthodoxes ont conservé l’esprit dans lequel elles étaient nées sous l’Empire romain ou sur ses cendres.

Certes, l’empereur Constantin (272-337) se montra tolérant à l’égard du christianisme sans vouloir en faire une religion d’Etat. Mais ses fils revendiquèrent la direction de l’Eglise et, contre l’avis de nombreux évêques, en firent un instrument de pouvoir. Après la chute de Rome, en 476, l’Empire poursuivit sa vie pendant encore un millénaire en Orient depuis Constantinople dans l’union étroite du sceptre et du goupillon. En Occident, dans les restes éparpillés de l’Empire, l’Eglise de Rome ne cessa jamais de résister à l’emprise du pouvoir temporel pour parvenir à s’en dégager au XIème siècle par la force du pape Grégoire VII obligeant, à Canossa, l’empereur à respecter ses prérogatives.

Les événements pourraient pousser les Russes à comprendre l’intérêt, voire l’urgence, de séparer plus définitivement l’Eglise et l’Etat

Cette séparation de l’Eglise et de l’Etat fut une grande victoire de la liberté en évitant la confusion des pouvoirs qui incline toujours au despotisme. Comme je l’ai écrit dans mon dernier ouvrage (Civilisation et libre arbitre), elle permit sans doute à l’idée de laïcité, étrangère aux mondes antiques, de naître et de se glisser subrepticement dans l’Histoire. En dissociant la justice de Dieu de celle de César, la réforme grégorienne laissait sa place à la transcendance et à la résistance, mais aussi à la politique malgré la religion ou à la religion au-delà de la politique ; elle favorisait l’équilibre des ambitions et la tempérance. Elle évitait que l’autorité soit monolithique, elle érigeait chaque pouvoir en protecteur des individus contre les risques d’usurpation de l’autre, elle permettait qu’en droit, il y ait des forces de critique réciproque pour équilibrer la société et lui éviter de tendre aux extrêmes.  Mais cette garantie institutionnelle n’était acquise qu’en Occident tandis que l’empire d’Orient continuait la tradition romaine qui explique sans doute encore la proximité de l’Eglise orthodoxe et des princes de ce monde, quels qu’ils soient, notamment les complaisances que l’orthodoxie eut parfois avec le pouvoir soviétique et aujourd’hui la connivence avec Poutine du patriarche Cyrille reprenant les arguments du Kremlin pour soutenir que le conflit ukrainien était « un élément de la stratégie géopolitique à grande échelle visant, avant tout, à affaiblir la Russie ».

La guerre d’Ukraine illustre ainsi l’antinomie des deux catholicismes dans leur rapport au pouvoir. Mais elle fera peut-être évoluer les conceptions de l’orthodoxie au sein de laquelle des voix s’élèvent en Russie même contre le patriarche. Ainsi, cette lettre ouverte, début mars, signée par plus de 350 prêtres russes orthodoxes pour demander « la fin de la guerre fratricide » et un « processus de réconciliation ».  Ainsi également la révolte, contre le patriarche de Moscou, de nombreux orthodoxes ukrainiens qui travaillent à la défense ardente de leur pays.

Les événements pourraient alors pousser les Russes et plus généralement les slaves, souvent orthodoxes, à comprendre l’intérêt, voire l’urgence, de séparer plus définitivement l’Eglise et l’Etat, ce qui serait un pas de géant vers l’idée que le pouvoir politique lui-même doit être divisé pour s’empêcher d’être despotique, vers l’état de droit et un recentrage de leur mentalité au profit de l’Occident.

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7 commentaires

Daniel 1945 18 avril 2022 - 7:03

Il en est de même pour l’église catholique qui n’a condamné ni la Russie ni Poutine.

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Pierre Segura 19 avril 2022 - 6:43

L’Eglise n’a pas à se mêler de politique, ça peut lui éviter de dire des bêtises.

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REMI 19 avril 2022 - 8:34

En quoi l’église catholique, serait elle concernée … ?
Je ne comprends pas cette intrusion….?
les Juifs, les Bouddhistes et autres religions dans le monde sont restées à leurs places, en dehors de tout arbitrage….!

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Rémi 18 avril 2022 - 10:20

Karl Marx : « La religion est l’opium du peuple »

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Denis Gaumond 18 avril 2022 - 6:40

« La religion est l’opium de ceux qui contrôle le peuple », Denis Gaumond, Montréal, 18 avril 2022

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Obeguyx 19 avril 2022 - 10:07

Encore une excellente chronique. On voit bien l’évidence et la nécessité de la séparation de la ou des religions et de l’Etat. La Russie n’est pas la seule à être devant ce problème. Nous-mêmes, en France, nous avons oublié ce concept. Il n’y a qu’à voir les tergiversations et les gesticulations que les différentes idéologies (ou religions) provoquent.

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Photini 22 avril 2022 - 9:59

« LES LIAISONS FUNESTES DE L’EGLISE ORTHODOXE ET DE L’ETAT RUSSE », ouais, on peut dire rapidement ça comme ça mais ce type de « liaisons » sont des conséquences provoquées par les aléas de l’histoire, et non consubstantiel à telle Eglise. Votre analyse, qui n’est pas fausse, dans le fond, mais même fausse car autocentrée, focalisée sur votre Histoire alors que là, nous sommes dans une autre aire. Vous écrivez: « A l’inverse de l’Eglise catholique romaine soumise à l’autorité papale, les Eglises orthodoxes se revendiquent comme autonomes sur les territoires où elles vivent. Certes, l’Eglise orthodoxe prétend ne former qu’un seul corps dont le chef serait le Christ, mais autour des patriarcats, dont les principaux sont ceux de Constantinople et de Moscou, il existe des Eglises autocéphales et des Eglises autonomes, notamment en Ukraine. » Oui, c’est vrai mais ce n’est pas par hasard que, ici, il y a une autorité papale, et que là un éparpillement d’autorités. Cela dit, l’Eglise de Rome n’est pas si unifiée que cela car il y a eu la Réforme, et un tas d’Eglises sont sorties du giron de Rome, et les guerres de religions que n’ont pas connues les Eglise « orthodoxes ». Je met orthodoxes entre guillemets car c’est une appellation tardive. Au départ, il n’y avait qu’une seule Eglise, celle du Christ qui avait deux poumons. L’Eglise latine, de langue latine et l’Eglise grecque, de langue grecque avec la liturgie de saint Jean Chrysostome commune à tous. Lorsque Constantinople a été prise par les Turcs, le Patriarcat s’est trouvé mis sous la tutelle et domination des Turcs. C’est la raison pour laquelle, la Russie a pris son indépendance par rapport à son patriarcat d’origine, pour ne pas avoir ses primats désignés par un patriarche prisonnier des Turcs. Elle s’est déclarée la Troisième Rome. Lorsque, en 1821, les Grecs se sont soulevés pour obtenir leur indépendance, les Turcs avaient exigés du patriarche qu’il condamne les patriotes grecs en leur demandant de déposer les armes car le sultan turc était leur souverain légitime. Ce qu’il a fait. Pouvait-il faire autrement? Cela nous renvoie au titre de votre article, la liaison de l’autorité religieuse et ses compromissions avec un pouvoir politique despotique. Malgré sa soumission, le patriarche a été mis à mort. Lorsque, quelques années plus tard, les Grecs ont obtenu leur indépendance, pas grâce aux Français et aux Anglais mais grâce aux Russes, ce qu’ils firent très rapidement, après leur indépendance politique, c’était d’obtenir leur indépendance religieuse. Ne plus être soumis au patriarche de Constantinople manipulé par les Turcs. Ils créèrent donc la première Eglise autocéphale de façon à élire leurs primats. Cet exemple a été suivi par les autres pays asservis par les turcs une fois leur indépendance acquise. Si les Turcs n’avaient pas pris Constantinople, on peut penser que le Patriarcat de Constantinople aurait été une deuxième Rome avec un pouvoir vertical comme le sien. Les Eglises autocéphales ce n’était pas un choix, un genre de Réforme dans l’orthodoxie. Aujourd’hui, ce Patriarcat n’est qu’un patriarcat d’honneur ne représentant rien. Toutes les églises « orthodoxes » sont autocéphales ou autonomes et la juridiction de Constantinople ne concerne que Chypre et les Eglises de la diaspora. L’Eglise grecque, l’évêché de France, Belgique et Espagne, relève du Patriarcat pour la simple raison que ce sont des Grecs de Constantinople, et pas de Grèce, qui ont crées les paroisses dans ces pays et c’est tout naturellement à leur ancien patriarche qu’ils ont demandé l’envoi d’un prêtre, puis d’un évêque. Contrairement à un tas d’historiens qui reprochent aux Patriarches de Constantinople une forme de pétainisme, d’avoir fait de la collaboration, je pense au contraire qu’en acceptant de baisser la tête, ils ont sauvé la nation grecque, pas prête pour réclamer par les armes son indépendance, nation grecque qui aurait pu disparaître au bout de 4-5 siècles d’oppression du colonialisme turc.

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