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La mémoire sélective de la traite et de l’esclavage

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La Journée nationale des mémoires de la traite et de l’esclavage et de leurs abolitions, créée par la loi Taubira de 2001, a lieu le 10 mai de chaque année. Rappelant la responsabilité des pays européens dans la traite occidentale, elle ne recouvre pas la globalité de l’esclavage et de la traite.

L’esclavage existait pendant l’antiquité, en Chine, en Grèce, à Carthage, à Rome, à Byzance, partout dans le monde en réalité… La chute de l’Empire romain ne l’a pas fait disparaître immédiatement en Europe, mais les conditions de vie des esclaves se sont améliorées peu à peu sous la pression de l’Église. En France, Louis X le Hutin l’a interdit par un édit en 1315. En revanche, un premier trafic d’esclaves chrétiens orthodoxes, juifs, musulmans (des Slaves, des Bulgares, des Grecs) capturés en Europe, transitant par Verdun et Venise où ils étaient émasculés, et à destination des pays de la Méditerranée orientale, a existé du ixe au xve siècle.

La traite transatlantique a duré quatre siècles (du xve au xviiie siècle) et est bien documentée. Les bateaux s’arrêtaient aux comptoirs de la côte africaine où les négriers européens prenaient livraison des esclaves qu’ils avaient “commandés” à des négriers africains. Seuls 2 % des esclaves ont été capturés par les trafiquants européens[1]. Ces esclaves, en majorité des hommes et des enfants, venaient de l’intérieur de l’Afrique, du Congo et de l’Angola surtout, dans des conditions aussi pénibles que celles de leur traversée de l’Atlantique. La responsabilité des négriers européens dans ce commerce infâme à nos yeux est évidente, mais celle des négriers africains l’est tout autant.

 La traite arabo-musulmane est moins bien connue, faute d’archives disponibles.

Pendant quatorze siècles (du viie au xxe), des millions d’esclaves capturés lors de razzias arabo-musulmanes ou africaines, donnés comme tribut ou vendus par des rois africains, ont parcouru le désert dans des conditions épouvantables, et ont été mis en vente sur les marchés de Tombouctou, d’Alger, Marrakech, Tripoli, Le Caire… De nombreux autres esclaves noirs passaient par Zanzibar, plaque tournante de la traite pour l’Afrique orientale puis étaient expédiés dans la péninsule arabique, en Iran, Irak, Inde… L’émasculation systématique causait de nombreux décès dans des souffrances inimaginables. Au cours de guerres en Méditerranée et de razzias jusque dans le centre de l’Europe, des Européens étaient capturés puis vendus sur les marchés d’esclaves, à Alger en particulier, et parfois rachetés, comme Cervantès, par des ordres chrétiens.

Il y eut aussi une traite interne à l’Afrique dont on sait peu de choses. Selon certains auteurs, un tiers ou plus de tous les captifs ayant survécu à leur voyage restaient en Afrique noire. Il existait aussi une forme d’esclavage africain traditionnel qui assurait aux esclaves des conditions meilleures, quasi familiales selon Henry de Monfreid[2], au point que les militaires français de la colonisation rechignaient à imposer son interdiction (comme Faidherbe). Pour Olivier Pétré-Grenouilleau, « l’Afrique noire n’a pas été seulement une victime de la traite, elle en a été l’un de ses principaux acteurs »[3]. Elle en a été aussi la principale victime.

L’abolition de la traite au xixe siècle par les pays européens a fait reculer l’esclavage arabo-musulman dans les colonies européennes conquises à partir de la seconde moitié du xixe siècle : « On ne saurait ignorer, pour ce qui nous intéresse ici, que c’est la colonisation européenne qui mit entièrement fin à la traite arabo-musulmane »[4]. L’interdiction totale de la traite a été tardive, et une traite illégale l’a remplacée. En 1872, un général français libère des esclaves dans la province de Constantine en Algérie ; en 1897, l’Église et le protectorat britannique font abolir l’esclavage à Zanzibar ; il existe des marchés d’esclaves au Maroc et dans l’Empire ottoman en 1910 ; dans le compte-rendu d’une conférence de l’ONU sur l’esclavage tenue à Genève en 1956, on lit dans Le Monde : « On prend des Noirs en Afrique, et plus particulièrement dans nos possessions. On les dirige vers la mer Rouge, qui est franchie dans des bateaux spécialement équipés à cet effet, et on les vend sur des marchés d’esclaves qui n’ont rien de clandestin, de l’autre côté de la mer. » [5]

Ce sont le concept d’humanité diffusé par les mouvements abolitionnistes à partir du xviiie siècle en Europe et en Amérique du nord, et les révoltes d’esclaves issus de la traite atlantique aux États-Unis, dans les Caraïbes (Haïti en particulier), au Brésil…, qui ont fait prendre conscience du caractère abominable de la traite et de l’esclavage. Il y en a eu d’autres, qui ne les ont pas plus fait disparaître que celle de Spartacus qui n’ont rien fait disparaître pour autant. Ni ces crimes ni ces rédemptions n’ont rien à voiravec la couleur de la peau ni avec la religion. Des Blancs, des Arabes, des Berbères, des Ottomans, des Noirs…, ont été coupables et victimes. Des catholiques, des orthodoxes, des musulmans, des païens, des juifs… ont été victimes et coupables. La traite et l’esclavage ont été des pratiques universelles et sont devenus des crimes contre l’humanité après la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Exiger des pays européens des excuses et des réparations pour des crimes qui n’en étaient pas auparavant et qu’ils sont les premiers à avoir dénoncés est à la fois un anachronisme et une négation de leur caractère universel.

L’esclavage n’a été réellement aboli au Pakistan qu’en 1992 et en Mauritanie qu’en 2007. La condition des femmes en Afghanistan est une forme d’esclavage. Il existerait actuellement des marchés d’esclaves en Libye et dans la Corne de l’Afrique. Des enfants et des jeunes filles sont enlevés en Afrique noire et ailleurs, et disparaissent. On s’inquiète des conditions de travail des immigrés dans les pays pétroliers. Avec les guerres, on peut craindre la traite et l’esclavagisme ne réapparaissent.

Le recul des démocraties occidentales en Afrique va-t-il provoquer un retour de ces abominations ?


[1] Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, Gallimard, Folio histoire, Paris, 2004, p.27.

[2] Henry de Monfreid, Vers les terres hostiles de l’Éthiopie, Grasset, 1933.

[3] Olivier Pétré-Grenouilleau, op. cité, p. 556.

[4] Tidiane N’Diaye, Le Génocide voilé, Gallimard, coll. Folio, 2017, p.261.

[5] Émile Roche, « Anticolonialistes… mais esclavagistes ! », Le Monde, 14 septembre 1956. C’est un témoignage du pasteur de la Gravière et l’histoire de Coke en stock (Hergé, 1958).

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6 commentaires

Jacques Baudouin 10 mai 2023 - 7:21

Merci pour cet article qui remet l’église au centre du village. Cependant, je crains que tous ceux qui ne veulent surtout pas reconnaître cette vérité vont faire feu de tout bois pour dénigrer son auteur. Pour ma part, il y a quelques années, je suis intervenu dans une réunion où certains représentants de la gauche et des écolos voulaient à tout prix associer esclavagisme à Occident. Seul, contre 15 menteurs très arrogants et bruyants, il m’a été impossible de m’exprimer.

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Henri VORON 10 mai 2023 - 8:28

Ce n’est pas le monde occidental, l’Europe qui a inventé l’esclavage, c’est l’occident qui l’a aboli.
Henri VORON

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Lombled 10 mai 2023 - 9:08

Les Européens et en particulier les français passent leur temps à faire repentance concernant l’esclavagisme qu’ils ont exercé pendant la période coloniale. Toutes les autres nations la passe sous silence. Mais actuellement avec le wokisme on assiste à un retour de la bienpensance à ce sujet

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GERMAIN 10 mai 2023 - 9:48

TOUTES LES VERITES NE SONT PAS BONNES A DIRE DANS LE MONDE ACTUEL…IL SERAIT SOUHAITABLE QUE CET ARTICLE SOIT DIFFUSE AU MAXIMUM DANS TOUS LES MEDIAS

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Ragnar D. Anskool 10 mai 2023 - 1:16

Sans compter le servage en France jusqu’à 1789 qui même avec un forte dose de mauvaise foi peut difficilement ne pas être assimilé à de l’esclavage.

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GNA46 14 mai 2023 - 9:55

Au-delà de toute réflexion philosophique que l’on ne manquera pas de m’opposer et dont je n’ai cure… ce qui ressort de cet article est que, nous sommes le SEUL pays qui se repent sans cesse de ce que l’humanité entière et depuis la nuit des temps a pratiquer. D’un coté des « forts », et de l’autre  » les faibles ». Par une certaine logique naturelle, les uns ont toujours pris le dessus des autres, ainsi en est-il dans la savane africaine où le lion continue toujours, paisiblement, et sans vergogne à bouffer le gnou… Alors choisi ton camp camarade ;=)))

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