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Identité et immigration françaises

Cet article a été publié dans le Journal des libertés n°16 (printemps 2022)

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C’est le refrain de nombre de candidats à l’élection présidentielle française : il faut défendre, rétablir notre identité. « Je suis le candidat de l’identité de la France, c’est ma spécificité » disait Eric Zemmour ce 7 janvier 2022. Peu après, dans Le Monde du 19 janvier, Jean-Luc Mélenchon entendait s’en rapporter à « l’identité française sur les droits de l’homme ». Dans un entretien à L’Express du mardi 22 décembre, M. Macron a promu l’idée d’une identité française. Pour sa part, Mme Pécresse a insisté sur la thématique de l’identité. Mais qu’est-ce que l’identité ? Celle-ci est souvent évoquée par rapport aux problèmes migratoires, mais l’immigration ne joue peut-être que comme le révélateur d’une identité française ou de son absence.Mais qu’est-ce que l’identité ? Celle-ci est souvent évoquée par rapport aux problèmes migratoires, mais l’immigration ne joue peut-être que comme le révélateur d’une identité française ou de son absence.

Ce qui identifie

L’identité se trouve en s’identifiant bien sût. Et à ce titre au moins, elle est d’abord individuelle. A l’origine, les premiers hommes se distinguent d’ailleurs sans doute de la nature végétale et animale par leur capacité à se reconnaître comme différents, c’est-à-dire s’identifier comme des êtres distincts de leur environnement. Alors l’homme devient une personne disposant d’une conscience de soi. Cette identité n’est pas statique. Elle se construit dans l’évolution de son être tout entier, mais aussi dans le rapport au monde et notamment aux autres, elle est façonnée par chacun en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il fait, de ce qu’il devient. L’identité est le fruit de la liberté personnelle et de l’action humaine.  A ce titre l’identité de chacun est unique et fragile. Certains aujourd’hui voudraient la faire disparaitre. Il y a ceux qui rêvent d’un monde de clones égaux, ceux qui voudraient trouver la vie dans le métaverse virtuel que cherchent à construire Facebook (Meta) et Google. Mais ces créatures n’auraient pas d’identité parce qu’elles ne seraient pas identifiables comme des personnes, parce qu’elles n’auraient pas d’esprit, elles n’auraient pas d’âme au sens où l’homme grec vit de l’éclat de son âme, comme au sens religieux de principe vital relié à Dieu ; elles ne seraient pas des personnes parce qu’elles n’auront pas de libre arbitre au sens où Bergson dit que « C’est de l’âme entière, en effet, que la décision libre émane »[1].

Au demeurant, l’identité n’est ni un concept abstrait, ni une construction solitaire. Toute identité individuelle intègre l’ensemble des rapports signifiants que chacun noue avec autrui.  L’individu forge son identité dans sa relation avec la ou les communautés au sein desquelles il naît et vit. Car l’homme est aussi un animal social, il ne serait pas grand-chose sans l’apprentissage spontané ou enseigné dont il bénéficie de la part des groupes familiaux, tribaux, villageois, nationaux… qui l’accueillent et lui permette de grandir.  Il enrichit son identité en s’immergeant dans la culture par laquelle il apprend à se situer : une langue, une histoire, un patrimoine, des traditions, une religion ou des croyances, des héros, des mythes… dont le tout est partagé par une communauté comme une identité commune. Le langage est évidemment un facteur essentiel d’identification du groupe. Les nations se divisent par leur langue depuis le début des temps ainsi que le rappelle l’histoire de la tour de Babel. Les rares nations multilingues sont nécessairement fédérales, voire confédérales, de telle façon que les communautés linguistiques y décident prioritairement pour elles-mêmes de tout ce qui est en leur capacité. L’histoire, le partage d’un même passé est sans doute le second critère d’identification collective. Un peuple forge ses liens dans ses combats, réels ou mythiques, pour se défendre ou s’accroître. Il s’unit contre l’envahisseur, se rassemble pour étendre son territoire, se rassemble contre les mêmes fléaux. Une même religion favorise aussi la vie commune. Mais bien sûr ce sont encore les mêmes habitudes de vie, une même éducation, les mêmes us et coutumes, les mêmes pratiques alimentaires, vestimentaires, corporelles, médicales, familiales… qui réunissent les peuples. Il y a des degrés dans la congruité, dans l’importance des critères catalyseurs de toute identité. Ils sont plus nombreux dans les petites communautés, comme dans les villages protestants et catholiques qui se côtoyaient suspicieusement dans le sud de la France il y a encore peu. Ils sont moins nombreux à mesure que la collectivité s’agrandit. Mais il n’y a sans doute pas de nation possible sans une forme d’identité partagée, ne serait-ce que pour adhérer à de mêmes lois, accepter un gouvernement commun pour veiller à la sécurité de tous, forcer, le cas échéant, l’exécution des mesures de justice…

Les identités mêlées

Quelle est alors l’identité qui doit primer de celle de l’individu ou celle de la collectivité ? En fait, les identités s’interpénètrent. Sans le passé préservé par la communauté dans laquelle il vient à vivre, l’homme serait resté, au mieux un homme préhistorique, sans le bénéfice de l’histoire accumulée, sans la tradition qui conserve la mémoire et enseigne ce que d’autres ont parfois mis très longtemps à découvrir, à assimiler, sans cette transmission qui permet de partir d’un acquis pour aller plus loin. Il lui faudrait tout réinventer par lui-même et il n’en aurait pas le temps. Voilà pourquoi beaucoup de philosophes et de juristes anciens ont résolument ordonné l’homme au monde plutôt que l’inverse. Aristote tient que la Cité est première et doit être préservée contre l’individu car celui-ci n’est rien sans elle sinon un animal. Cicéron demande que l’homme se souvienne « qu’il n’est pas né seulement pour lui, mais pour les siens et pour sa patrie, et qu’il ne lui reste qu’une petite portion de lui-même dont il soit le maître »[2].  L’empereur Marc Aurèle soutenait autrement que le bien de la cité surpassait celui du citoyen. « Souviens-toi donc toujours, écrivait-il, que le véritable et naturel citoyen ne souffre jamais de ce qui ne fait pas souffrir la cité [3]». Rousseau a puisé dans la tradition antique pour, à son tour, devenir l’avocat d’une subordination sans condition de l’individu aux finalités de la cité et en y ajoutant une mystification démocratique selon laquelle la volonté générale poursuivrait toujours le bien commun. Après que la terreur y a trouvé son excuse, l’Etat providence en a fait son terreau.

Certes, le rapport de l’homme à la cité est celui de l’œuf à la poule. Où est la cause et où est l’effet ? Il ne saurait y avoir d’homme né de nulle part. Robinson Crusoé ne s’est pas trouvé sur son île par génération spontanée. Mais à l’inverse, il n’y a pas de cité sans hommes qui la constituent. Il faut à la fois l’homme et la cité. Chacun se conçoit par l’existence de l’autre, les individus génèrent la cité qui permet aux individus de se multiplier. Les choses ne se sont pas faites pour autant dans un ordre établi. Ceux qui ont essayé de trouver l’origine de la société dans un contrat social initial ont reconstruit une humanité qui n’a jamais existé, ils ont retrouvé une rationalité qu’aucun homme réel n’a jamais développée. Rousseau ou Hobbes ou Rawls imaginent des situations idéales, une communauté première et parfaite, improbable autant qu’introuvable. Cette fiction philosophique d’un contrat social initial porte en elle le danger d’imaginer que les hommes sont entièrement maîtres de leur destin. L’histoire ne saurait être que celle que les hommes nouent progressivement et naturellement dans les heurs et malheurs de leur vie, dans les arcanes de leur vie sociale, dans les relations établies en fonction de leurs sentiments et de leur raison, de leurs intérêts réciproques, de leurs inévitables querelles. S’il demeure toujours vrai que la cité et les hommes qui la composent se développent ensemble, il s’impose toutefois que la cité n’a pas de raison d’être autre que les hommes qui vivent d’elle autant qu’ils la font vivre. La cité vide n’est plus une cité, tandis que l’homme peut se suffire de sa famille et une fois sorti de l’enfance, même seul, il reste un homme, sans doute amputé de sa capacité sociale, limité dans son épanouissement, mais toujours homme. L’individu est diminué quand il est réduit à son identité collective. L’identité de la cité n’a d’autre objet que de permettre que s’y façonnent et s’épanouissent les identités individuelles. La finalité de la cité, où elle trouve son identité, est l’homme. Mais cette vie commune n’est possible que si les identités individuelles sont compatibles. Uniques, les hommes sont tous différents et développent donc des perceptions et des visions diverses sur certains sujets. La cité a pour fonction de définir des lois et d’établir des institutions capables de réduire les conflits et de les gérer en entravant le moins possible les libres expression et réalisation de chacun qui façonnent l’évolution des identités personnelles et collectives. Chaque pays le fait à sa manière qui tient compte de son historique et des sensibilités de ses citoyens.  Mais chaque pays ne peut le faire que pour autant que les identités des uns et des autres ne soient pas en totale antinomie, qu’il y ait des concordances possibles ou du moins des compromis acceptables.

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2 commentaires

Jean Kircher 8 août 2022 - 7:54

Remarquable analyse!
tout est dit…..

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Obeguyx 8 août 2022 - 3:49

Article très intéressant. La fin me laisse un peu perplexe. Les solutions proposées me semblent bien molles en regard des sévices déjà subits par notre pays. Je refuse de jouer les Jésus Christ et de tendre sans cesse l’autre joue. La solution est simple, il suffit de s’affirmer en tant que Français avec une rigueur implacable. Tout pourrait alors rentrer dans l’ordre en 2 ou 3 ans. Et il est inutile de brandir les droits de « l’animal humain », qui n’existe que dans la tête des « philosophes à 2 balles ».

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