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L’IREF à la 16° Conférence internationale Gottfried von Haberler

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La 16e Conférence internationale Gottfried von Haberler a eu lieu le 20 mai 2022 à l’Université du Liechtenstein à Vaduz (tableau A1). La Conférence était organisée par ECAEF – European Center of Austrian Economics Foundation-. Après deux années de confinement, elle portait sur la moralité de l’Etat et la nature de la responsabilité des hommes politiques. Elle a abordé ce thème général sous différents angles : la montée du populisme de gauche, la centralisation et ses méfaits, la disparition du cash, la privation de liberté des Indiens d’Amérique, la crise de l’Etat de droit en Europe et la constitution d’un capitalisme de surveillance aux allures de laisser faire.

Chaque thème a été traité par un intervenant différent lors d’une présentation de 30 minutes suivie de 15 minutes de discussion générale. Les économistes Christoph A. Schaltegger (Université de Luzerne Suisse) et Pedro Schwartz (Université San Pablo CEU de Madrid, Espagne) ont traité respectivement de la centralisation et du populisme. Le Pr Christoph A. Schaltegger a abordé les risques du centralisme à travers la théorie économique de la bureaucratie. Pour rétablir la confiance des citoyens dans la démocratie, il a défendu les régimes décentralisés et le principe de subsidiarité. Le Pr Pedro Schwartz a de son côté, nous y reviendrons, remis en perspective les doctrines qui fondent le populisme de gauche. Terry L. Anderson (directeur du PERC, Centre de recherche sur la propriété et l’environnement, USA) et Thorsten Polleit (Université de Münster, Allemagne) ont présenté leur analyse des conséquences de la colonisation des indiens d’Amérique et de la disparition du cash sur les libertés individuelles. La fin de l’Etat de droit et la corruption ont, pour conclure, été étudiées par le Pr Michael Leube (ie Université, Espagne & USA) à travers l’effet des médias sociaux et du mépris des institutions de la société civile sur les libertés individuelles et par le Pr Henrique Schneider (économiste en chef de la Fédération suisse des petites et moyennes entreprises et Pr Université Nordakademie en Allemagne) à travers les effets sur l’Etat de droit et le principe de responsabilité de la diffusion du positivisme juridique.

Comme il n’est pas possible de présenter l’intégralité des propos tenus nous avons choisi d’exposer trois idées qui nous ont particulièrement intéressés.

La première porte sur l’origine doctrinale des populismes de gauche. Le professeur Pedro Schwartz avait sur ce sujet deux messages généraux forts. Le premier message était que la philosophie économique et l’éthique en particulier étaient plus importants que l’économie en tant qu’outil ou technique. L’autre message était en accord avec le premier puisqu’il défendait une explication idéaliste de l’histoire de l’Etat providence et des populismes de gauche. Le populisme de gauche, La France Insoumise (LFI) par exemple, n’est pas qu’une réaction à la dictature des élites. Il est aussi une doctrine qui a ses intellectuels et ses élites. Le théoricien du populisme de gauche selon le Pr Schwartz serait le philosophe Ernesto Laclau, un philosophe d’origine argentine influencé par Antonio Gramsci (1891-1937) et compagnon de la philosophe d’origine belge Chantal Mouffe. Ces deux philosophes sont les héritiers de Rousseau, Hegel, Marx, Freud, Wittgenstein, Heiddegger et Lacan. Ils proposent une démocratie illibérale qui doit construire un monde sans pauvres, sans exploitation, sans oppression. La caractéristique du populisme de gauche est de dénoncer toutes les situations de subordination, de toujours se placer du côté des opprimés : la classe ouvrière, les ethnies dominées, les minorités raciales, les femmes, les animaux, etc. Toutes ces situations en apparence disparates ont un point commun, l’oppression. L’identité est en ce sens transnationale. C’est l’identité des oppressés. On retrouve la matrice de l’internationale socialiste, mais étendue à toutes les revendications de groupes qui s’estiment victimes des puissants. On retrouve aussi la notion de structure de pouvoir. Pour combattre cette forme bien particulière de populisme il faut donc aussi écrire contre la doctrine qui la fonde. C’est la première leçon que l’on peut tirer de ces analyses.

Sans que les deux présentations se suivent et participent à la même thématique, l’anthropologue Michael Leube est aussi revenu sur cette culture postmoderne et son rôle dans l’avènement de la Silicon Valley et des Big Tech. Les grandes figures de la Silicon Valley ont toutes été influencées par le postmodernisme des enseignements de Berkeley qui est le berceau des études culturelles, sur l’identité, le genre et la théorie critique initiée par Michel Foucault et son concept de structure de pouvoir. Ils ont aussi été nourris à la doctrine de l’égoïsme radical de Ayn Rand. Le wokisme (wokeism) est issu de cette histoire intellectuelle, de ce lieu (Californie), de ce refus de voir l’injustice comme la conséquence du mal et non la conséquence d’une situation ou d’un système. Il y a ainsi une forme de paradoxe, car les grands innovateurs des BIg Tech sont des anarchistes libertaires, à la culture hippie et proche de l’ultragauche culturelle. Si on rattache cette histoire au populisme de gauche, il apparaît alors que les libertaires et le laissez-faire ont créé les conditions de l’entrée dans l’âge du capitalisme de surveillance (Zuboff 2019[1]). Un âge qui créerait une dangereuse collusion entre l’individualisme extrême et une nouvelle forme de classe digitale (Kroker et Weinstein 1994[2]) capable de rendre les masses totalement dépendantes de leur technologie (addiction) et sous leur contrôle. Une sorte de technocratie utopique fondé sur une forme de technophilie hippie (hippy tech) a ainsi le pris le pouvoir grâce au principe du laissez-faire. L’ordre social libéral ou néolibéral est la conséquence non intentionnelle de ce contexte doctrinal et de la liberté que le marché a donné à la créativité et à l’imagination d’une génération d’entrepreneurs. Si on voulait résumer la morale de cette histoire on pourrait dire que le marché et la liberté peuvent donner le meilleur comme le pire. Le capitalisme de surveillance ou la gouvernance par les algorithmes (algorithmic governance) est ce que le laissez-faire peut donner de pire.

Une telle position n’a pas laissé la salle indifférente. Elle a soulevé au moins trois limites à l’analyse. Les algorithmes renforcent les comportements qui existent déjà mais ne les créent pas. Vouloir réguler l’économie du numérique pose évidemment la traditionnelle question du contrôle du gardien, du régulateur. Il est difficile, enfin, d’écrire l’histoire avant qu’elle soit écrite. Le futur est indéterminé et l’addiction aux technologies n’est peut-être que passager. L’accumulation gratuite de données n’est pas non plus forcément profitable et capable de prévoir les comportements individuels de chacun, la concurrence devant en particulier inciter les entreprises à engager des stratégies de contre-manipulation pour éviter la manipulation de leurs concurrents. Le débat est d’importance et les libéraux, comme pour les questions climatiques ou d’environnement, doivent s’interroger sur la réalité de cette âge de surveillance et des raisons qui ont conduit l’une des sociétés les plus libérales du monde à inventer des doctrines comme le wokisme qui sont holistes et illibérales dans leurs prescriptions.

Le débat sur l’environnement n’a pas été abordé à proprement dit, mais l’économiste Terry Anderson est intervenu pour rappeler quelques vérités sur l’économie indigène des indiens d’Amérique et l’obligation qui doit leur être faite de retrouver leurs libertés et surtout un régime de droit de propriété capable de rétablir leur prospérité. Un livre en l’honneur de ce pionnier de l’écologie de marché, édité sous la direction de Kurt R., Leube (2022[3]) était disponible. Cela fait plus d’un quart de siècle que Terry Anderson défend l’idée (1995[4], 2016[5]) que l’économie indigène des Indiens d’Amérique était libérale et probablement beaucoup plus attachée à la propriété privée que ce que les colons européens ont bien pu croire[6]. Il reprend à cette occasion les travaux de Frederick Hodge (1910[7]) et Julian Steward (1938[8]). A l’origine de l’idée d’un collectivisme tribal ou originaire se trouve l’attitude des colons qui ont cru à tort que l’abondance des terres non cultivées signifiait une absence de propriété. La conséquence fut funeste pour les Indiens d’Amérique qui, dès les années 1887 (Dawes Act), ont mis en œuvre un régime de nature collectiviste ayant conduit des peuples autrefois prospères à la pauvreté et à la misère. La troisième leçon de cette conférence pourrait alors être que la meilleure solution pour les Indiens d’Amérique serait de rétablir leur droit de propriété sur la terre et les ressources naturelles et de démanteler le Bureau des affaires Indiennes (BIAP), l’instance qui doit valider chaque transaction sur la réserve. En définissant le territoire de la réserve comme commun à tous, le gouvernement a bloqué toute transaction et tout déplacement du capital des individus les moins performants vers les individus les plus performants.

Cette conférence était donc un vrai lieu de débat où la liberté et l’ordre de marché n’étaient pas a priori condamnés, mais où ils n’étaient non plus drapés de toutes les vertus, sans au préalable qu’une discussion ce soit engagée sur leurs qualités sociales et humaines.

[1] Zuboff, S., 2019. The age of surveillance capitalism: the fight for a human future at the new frontier of power, Barack Obama books of 2019, Profile books.

[2] Kroker, A., and M.A., Weinstein 1994. Data trash: the theory of virtual class. New World Perspectives, pg 15.

[3] Leube, K.R. (edited by) 2022. Save the Environment – Unleash the Markets! TvR Medienverlag, Dr. Holger J. Thuss.

[4] Anderson, Terry 1995. Sovereign Nations or Reservation? An Economic History of American Indians, San Francisco, CA: Pacific Research Institute for Public Policy.

[5] Anderson, Terry (edited by) 2016. Unlocking the Wealth of Indian Nations, Lexington Books Rowman & Littlefield Publishing Group, Inc.

[6] ON peut consulter en français l’ouvrage de Jacques-Henri Coste L’entrepreneuriat amérindien : mythes et réalité d’une société entrepreneuriale autochtone, Paris, Paris Sorbonne Nouvelle.

[7] Hodge, Frederik 1910. Handbooks of American Indians North of Mexico, Washington, DC: Government Printing Office.

[8] Steward, Julian 1938. Basin-plateau Aboriginal Sociopolitical Groups. Washington, DC Bureau of American.

 

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