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Sauver la démocratie contre les électeurs ? Les populistes, ce casse-tête des élites européennes

Jean-Philippe Feldman dans Atlantico

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George Simion_Calin Georgescu

Alors que se tient en Roumanie la nouvelle élection présidentielle sans le candidat arrivé en tête lors du 1er tour annulé par la justice roumaine, l’AfD vient d’être classé comme extrémiste par l’Office fédéral de protection de la Constitution.

Atlantico : Les démocraties libérales sont confrontées à la problématique « populiste ». Face aux totems et aux tabous de l’Europe contemporaine, à commencer par les questions d’immigration, d’écologie ou encore la construction européenne, une partie de la classe politique se fige et donne des réponses qui vont à l’encontre des principes et valeurs qui furent longtemps les siennes. Ainsi, en Allemagne, l’AFD vient-t-elle d’être classé comme « extrémiste » par l’Office fédéral de protection de la Constitution. Les élites européennes parviennent-elles à tracer la bonne ligne de démarcation entre partis contestataires mais démocrates et représentatifs de pans entiers des électeurs d’une part et des partis frontalement dangereux pour la démocratie et prêt à la remettre en cause comme les fascistes des années 30 d’autre part ?

Jean-Philippe Feldman : C’est une vieille problématique. De manière schématique, l’alternative est la suivante. D’une part, on peut considérer qu’il ne doit pas y avoir de liberté pour les ennemis de la liberté. En décider autrement serait faire preuve de naïveté coupable. D’autre part, si c’est la faiblesse d’une démocratie, c’est aussi son honneur que d’être tolérante. Et un régime qui vit à base d’interdictions doit se sentir bien faible et peu assuré de son soutien populaire.

On peut comprendre que la question soit d’autant plus sensible que le mouvement litigieux ne soit pas un groupuscule, mais un parti qui recueille un vrai succès populaire. Il est vrai aussi que l’on a l’impression très désagréable que les mouvements sont qualifiés d’extrémistes et parfois disqualifiés si et seulement si ils appartiennent à l’extrême droite. Les instances communautaires n’ont pas fait de procès à la France lorsque, à plusieurs reprises, le gouvernement a été un gouvernement de coalition à participation communiste at que le Parti communiste français était plus communiste que français…

Et quel est aujourd’hui le parti le plus dangereux de France si ce n’est La France Insoumise ? Qui peut croire que notre pays ne risquerait pas une dictature si par malheur Jean-Luc Mélenchon et ses sbires arrivaient au pouvoir, et instauraient une VIe République, qualifiée par certains de bolivaro-islamiste ?

Cela dit, qualifier un parti d’extrême droite ne consiste pas pour autant à lui interdire une participation aux élections. Le même problème s’est posé en France, le Rassemblement National contestant son classement comme mouvement d’extrême droite opéré par le ministère de l’Intérieur.

Ajoutons que l’Allemagne a un rapport très particulier avec les extrêmes. Les deux seuls partis interdits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ont été un parti nazi en 1952 et le parti communiste en 1956. Cela n’a pas empêché des mouvements similaires de se reconstituer ultérieurement.

Chantal Delsol : Il est parfaitement normal, à mon avis, qu’une démocratie se défende contre des partis qui veulent profiter d’elle pour prendre le pouvoir et pour ensuite détruire la démocratie. Dans l’histoire, certains partis annonçaient clairement la couleur : je trouve normal que l’Allemagne de l’après-guerre ait interdit les partis post-nazis, et que les US aient interdit le parti communiste. Et la même question peut se poser aujourd’hui. Evidemment, le problème est que désigner un parti anti-démocratique et dangereux pour le pays, peut s’avérer très subjectif, et même très partisan. En France pendant des décennies à l’époque des goulags soviétiques, nous avons vécu avec un parti communiste financé par Moscou, infiltré partout, qui faisait la pluie et le beau temps dans l’édition et avec, même, un ministre de la Défense stipendié par un gouvernement communiste… et ceux qui s’en indignaient étaient traités d’anticommunistes primaires. Je ne connais pas assez l’AFD pour avoir une opinion là-dessus à son sujet.

En Roumanie, l’élection a été annulée et le candidat arrivé en tête exclu. Câlin Georgescu avait violé les règles électorales roumaines, que ce soit en matière de financement ou de respect des règles de campagne. Il est aussi connu pour ses déclarations plus que contestables. Néanmoins, la Cour suprême roumain n’a-t-elle pas donné au peuple roumain comme aux critiques des démocraties libérales, une nouvelle occasion de dire que le « jeu est truqué », que pile le système gagne et que face ses opposants perdent ? N’est-ce pas dangereux ?

Chantal Delsol : Oui c’est très dangereux, même s’il est vrai que les soutiens du candidat en question s’avèrent en effet bien inquiétants. C’est que nous nous trouvons ici en face de décisions discrétionnaires : il ne peut pas y avoir de loi ici, c’est une question de prudence et presque d’intuition, aussi la subjectivité joue-t-elle en plein. Si les multiples faux-comptes dont s’est servi le candidat Georgescu étaient venus de l’institution européenne, cela n’aurait pas fait d’histoire. Et aussi : s’ils étaient venus d’une Russie socialiste, cela n’aurait pas fait d’histoire non plus. Je veux dire que toujours les pouvoirs en profitent pour lutter contre leurs ennemis. Les Européens n’aiment pas Poutine parce qu’il se dit conservateur, mais la Russie quand elle était communiste pouvait bien se mêler de nos élections sans qu’il en coûte rien à ceux qui en profitaient.

Jean-Philippe Feldman : Le cas roumain est spécial. Un candidat délirant, surgi de nulle part, en est venu à caracoler en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Le directeur de l’Iref, Nicolas Lecaussin (qui est d’origine roumaine), a consacré de nombreux papiers pour montrer combien Calin Georgescu avait violé les règles électorales. Mais surtout, la main de l’Union soviétique (je dis délibérément URSS car les méthodes poutiniennes n’en sont que le prolongement direct) a été plus que visible. Quelle démocratie digne de ce nom accepterait une ingérence étrangère dans ses affaires intérieures ? Aucune.

S’il existe un risque pour la démocratie du fait de cette interdiction, rappelons qu’un Etat de droit suppose la possibilité d’un recours judiciaire. Le recours peut d’ailleurs aussi être externe, puisque la Cour européenne des droits de l’homme (certes peu appréciée par l’extrême droite, sauf quand cela l’arrange, n’est-ce pas madame Le Pen ?) peut être saisie en dernier recours.

Chez nous, en France, c’est le système électoral qui est souvent remis en question. Nonobstant l’avis que l’on peut porter sur le RN ou LFI, ces deux partis réunis ensemble regroupent 50 % des votants. Ils n’ont pourtant que peu de chance d’accéder au pouvoir et sont exclus des grandes décisions politiques prises dans ce pays. Cela peut-il créer l’impression d’une démocratie confisquée voire censitaire à certains pans de l’électorat ?  Quel est le plus grand risque pour la démocratie : exclure des millions d’électeurs au risque de les détourner des systèmes démocratiques, ou prendre le risque de laisser prospérer, voire arriver au pouvoir des partis à la culture politique contestable ?

Chantal Delsol : Des deux partis dont vous parlez, LFI pourrait bien parvenir au pouvoir puisqu’il n’y aura pas contre lui de Front Républicain. Pour le RN cela me parait impossible, pour cette raison. Cela dit : quoique je n’ai aucune sympathie ni pour l’un ni pour l’autre de ces partis extrêmes, je crois qu’il faut laisser les électeurs les mettre au pouvoir, faute de provoquer des révoltes légitimes. On ne peut pas se dire démocrate et empêcher un peuple de voter comme il le pense. D’ailleurs je crois que l’un ou l’autre de ces deux partis au pouvoir engendrerait des catastrophes qui nous en guérirait pour longtemps (mais il faut dire que Macron est lui aussi assez maitre du genre). Cela dit : il faut, je crois, laisser les peuples voter pour les partis extrêmes et ceux-ci parvenir au pouvoir, A CONDITION d’avoir préalablement bien réfléchi pour savoir s’il fallait les interdire. Ce qui s’est passé pour le FN est déplorable : on l’accuse pendant des décennies d’être raciste et anti-démocrate, mais on n’a pas le courage de l’interdire, et au lieu de cela on l’ostracise, remplaçant la politique par la morale. C’est la pire des situations. Ou bien il fallait l’interdire à l’époque du vieux Le Pen, ou bien il faut le traiter maintenant comme les autres partis. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet qui empoisonne notre vie politique.

Jean-Philippe Feldman : En ma qualité de constitutionnaliste, je me suis prononcé récemment à plusieurs reprises contre tout système de nature proportionnelle et pour un maintien du scrutin majoritaire.

Il existe deux grands types de représentation. Le premier est celui de la représentation-miroir : les élus doivent être à l’image des électeurs. Le second, qui a mes faveurs, est celui de la représentation-filtre : l’élection n’est pas démocratique au sens strict car elle consiste à élire les meilleurs, tandis qu’un système démocratique présuppose le tirage au sort. Même si cela peut faire sourire que nous élisions les meilleurs, tant notre classe politique est globalement médiocre, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un idéal.

La représentation proportionnelle (RP) est certes très à la mode. Les constitutionnalistes en cours (les juristes de gauche qui sont systématiquement invités par les médias) y sont favorables. Je considère qu’il s’agit d’une très mauvaise idée pour différentes raisons incontournables : la RP consacre le régime des partis (pour parler de manière gaullienne), de telle manière que les électeurs ne peuvent plus sanctionner telle ou telle personne (pour illustration, quand les électeurs de Blois ont été lassés de Jack Lang, ils l’ont « mis à la porte », chose impossible avec la RP…) ; elle éloigne les parlementaires des territoires ; surtout, elle consacre le centrisme, le centre effectuant un jeu de bascule entre la droite et la gauche et ce n’est pas un hasard si l’extrémiste du centre Bayrou y a toujours été favorable, si bien qu’il n’y a plus d’alternance envisageable et que l’Assemblée devient « l’Assemblée sans fenêtre » qu’elle était sous la IVe République ; plus encore, la RP dépossède le « peuple » de sa souveraineté, car ce sont les tractations de couloir après les élections qui mettent en place les coalitions, donc dans le dos des électeurs. Voulons-nous vraiment un système électoral à l’allemande, un scrutin mixte à large prépondérance proportionnelle, qui est un désastre ? il est piquant que les populistes soient en faveur d’un système aussi contraire à la « volonté populaire »…

Je note que la plupart des partis changent de doctrine sur le mode de scrutin comme ils changent de programme électoral. Il est assez amusant de voir que le Rassemblement National est aujourd’hui favorable à une prime majoritaire associée à la RP, alors qu’il ne l’était pas précédemment. Mais le RN a-t-il vraiment besoin d’une RP aujourd’hui pour gagner des élections législatives ? Rien n’est moins sûr. On a longtemps dit que la gauche ne serait jamais majoritaire au Sénat et elle l’a pourtant été, fût-ce de manière éphémère.

De la même manière, est devenu abstrait pour de nombreux Européens. Il leur apparait comme étant détourné par les minorités politiques agissantes, déconnecté des réalités, notamment sur les questions migratoires ou de mœurs. Est-ce aussi de nature à rompre la confiance entre les élites et les peuples ? À alimenter le vote populiste ?

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