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Libéralisme et évolution culturelle

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Individualisme méthodologique et individualisme politique

Une des questions méthodologiques les plus importantes dans le domaine des sciences sociales est le rapport entre les théories individualistes et les théories holistiques. Il est bien connu que la théorie standard de la micro-économie semble être la seule vision des sciences sociales à se trouver en accord complet avec les principes de l’individualisme méthodologique. Les autres visions que proposent les sciences sociales semblent être indissociablement liées à une méthodologie holistique – dans une de ses différentes versions.
Cette situation est particulièrement évidente dès que l’on en vient à examiner le problème de l’évolution culturelle. L’idée même de culture est considérée par le mainstream des sciences sociales comme une démonstration auto-évidente que les sciences sociales elles-mêmes doivent être nécessairement fondées sur des concepts « supra-individuels ».

Cela est a fortiori vrai pour le concept d’évolution culturelle. En effet, on considère normalement que le concept même d’évolution dépasse par définition le simple individu, ou d’un ensemble limité d’individus. Ce qui concerne l’évolution (culturelle), ce sont les règles, ou les valeurs, et non pas des individus pris isolément ou des groupes (limités) d’individus.

Ces questions méthodologiques ont des conséquences de vaste portée quant aux conceptions normatives de l’homme et de la société. En effet, bien qu’il n’y ait aucune implication logique ni dans une direction ni dans l’autre entre individualisme méthodologique et individualisme politique – il est bien connu qu’il est très difficile de soutenir de manière cohérente une position individualiste en matière politique si l’on n’est pas en mesure de démontrer que la réalité sociale (et politique) peut être expliquée de manière adéquate en se basant sur une vision conforme aux principes de l’individualisme méthodologique.

C’est là, ainsi, la raison profonde pour laquelle je considère de la plus grande importance – afin de soutenir une position politique libérale – la capacité à montrer de quelle manière l’évolution culturelle peut être totalement et correctement expliquée en se basant sur les principes fondamentaux de l’individualisme méthodologique. Peut-être n’est-il pas exagéré d’affirmer qu’il s’agit là de la tâche la plus ardue qui soit pour ceux qui partagent un point de vue méthodologique individualiste. On peut en effet affirmer que, dans la mesure où l’on considère exclusivement la dimension statique du monde social (comme c’est le cas, par exemple, dans la « pure logique du choix » de la théorie micro-économique standard), il est relativement facile d’alléguer des raisons en faveur de l’individualisme méthodologique et en même temps de démontrer que l’individualisme méthodologique est lié de façon pratiquement indissociable à une vision anthropologique/politique individualiste. A titre d’exemple : il est facile de démontrer que si les individus ne sont pas libres (dans le sens classique de la « liberté négative ») alors tout concept de choix est dépourvu de tout contenu.

Toutefois la situation change radicalement si l’on prend en considération la dimension évolutive/évolutionniste. Aucune théorie micro-économique n’a de pouvoir descriptif (et, a fortiori, prédictif) concernant la façon dont changent les préférences de chaque individu. De plus, aucune théorie micro-économique n’a de contenu descriptif concernant la façon dont de nouvelles préférences émergent et se répandent au sein d’une population donnée.

De nombreux économistes, face à cette situation, ont été tentés d’utiliser l’un des outils les plus classiques de leur panoplie intellectuelle : la division du travail. En d’autres termes, ils abandonneraient volontiers aux sociologues, aux anthropologues et même aux psychologues le soin d’expliquer la formation des préférences ainsi que leur mutation. Je crains que ces solutions soient tout simplement vouées à l’échec. En effet le mainstream de la sociologie – et plus encore de l’anthropologie – nie tout simplement le fait que l’individualisme méthodologique soit une vision adéquate, ne serait-ce qu’un tant soit peu, de l’homme et de la société. Et a fortiori il refuse l’idée même que la théorie du choix rationnel soit une vision adéquate de l’action humaine. Après tout, on ne doit pas oublier que les rares sociologues qui soutiennent l’individualisme méthodologique, tel que James Coleman, basent leur position sur la validité des modèles micro-économiques !

Il est bien connu que Friedrich von Hayek a été très critiqué pour avoir considéré que la validité d’un point de vue évolutionniste était essentielle pour le libéralisme. Je crois que la plupart de ses collègues et admirateurs libéraux ont regretté que la vision de Hayek ait évolué, des positions prises dans The Constitution of Liberty (1961) à celles autour desquelles s’articule The Fatal Conceit (1988). Je ne partage pas cette vision. Même s’il est probablement vrai que les oeuvres tardives d’Hayek telles que Law, Legislation and Liberty et, à juste titre, The Fatal Conceit, peuvent poser davantage de problèmes que de solutions, Hayek a cependant mis en évidence une problématique qui est cruciale non seulement pour les sciences sociales mais aussi pour la vision libérale. Cette problématique ne peut, à mon avis, être écartée en soutenant qu’elle n’est pas aussi claire et précise que celle qu’ont coutume de traiter les partisans de l’individualisme méthodologique (et même politique).

Un modèle pour l’évolution culturelle

Est-il possible d’ébaucher un modèle de processus évolutif/évolutionniste des règles (nous entendons par là des règles morales, distinctes de celles que sont justement les lois de la biologie) de comportement, et un modèle qui demeure cohérent avec les principes de l’individualisme méthodologique tout autant qu’avec le respect de la liberté négative – condition au moins nécessaire de toute vision libérale ? En dépit du fait que l’opinion dominante semble nier une telle possibilité, je crois que l’on peut construire un modèle de ce type.

Supposons un modèle dans lequel il y aurait trois postulats :

Un ensemble d’actions individuelles a1 … an exécutées par un ensemble d’individus i1… in.
Un mécanisme par lequel un sous-ensemble d’individus pourrait exécuter le même type d’actions déjà exécutées par un autre sous-ensemble d’individus.
Un mécanisme qui opère une discrimination (parmi) tous ces ensembles d’individus en se basant sur le type d’actions exécutées.
Si l’on ajoute la condition selon laquelle les descriptions des actions doivent avoir la forme logique d’assertions conformes à une loi, alors on peut parler de sélection de règles. (Il faut rappeler que si l’on partage le point de vue de l’individualisme ontologique, les règles n’existent pas. N’existent que des actions et des dispositions individuelles. Il n’est cependant pas nécessaire de rappeler que l’individualisme ontologique est une condition nécessaire – bien qu’insuffisante – de l’individualisme méthodologique). Si les sous-ensembles d’individus contiennent plus d’un membre, on peut alors parler de sélection de groupe.

Les postulats 1-3 sont parfaitement cohérents avec le modèle néo-darwinien d’évolution biologique, qui se compose de (a) un générateur de mutation des caractères ; (b) un processus de conservation et/ou de propagation des caractères ; (c) la sélection naturelle. Toutefois, les conditions 1-3 n’impliquent pas nécessairement la « variation aveugle et la rétention sélective » du modèle néo-darwinien. En effet, les conditions 1 et 2 n’impliquent pas nécessairement l’assomption des mutations aveugles ni celle de la transmission des seuls caractères (génétiques) innés. Le postulat 1 peut être caractérisé de façon encore plus précise en ajoutant que les actions sont intentionnelles (c’est-à-dire guidées par un objectif). Le postulat 2 peut être caractérisé de façon encore plus précise en ajoutant que (a) des types d’actions peuvent être transmises à sa descendance à travers des mécanismes différents des mécanismes de la transmission génétique (tels que les processus d’apprentissage), et (b) que des types d’actions peuvent être exécutées par des sous-ensembles d’individus distincts des individus “originaires” (ou de leur descendance) à travers des mécanismes qui impliquent l’intentionnalité (tels que l’imitation consciente). Ces deux caractérisations créent l’espace logique pour le concept de sélection culturelle.

Si on ajoute ces deux caractérisations, alors on obtient la description d’un modèle lamarckien d’évolution des règles de conduite. Pour être plus précis, la caractérisation ajoutée au postulat 1 et la caractérisation (a) ajoutée au postulat 2 sont chacune une condition suffisante pour affirmer que le modèle évolutionniste envisagé n’est pas un modèle (néo) darwinien.

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