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Les expériences ratées de la politique étrangère de l’UE

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Les partisans d’une union toujours plus étroite des Etats européens peinent régulièrement à répondre à une question simple : pourquoi l’UE ne remplit-elle pas l’une des tâches fondamentales d’une union, à savoir assurer conjointement la sécurité de ses membres et leur représentation extérieure ?

Poussée vers la centralisation

La première tentative de coordination de la politique étrangère et de défense européenne au niveau supranational échoue en 1954 à cause de la France, qui refuse catégoriquement de renoncer à ses droits souverains. Une contre-proposition soumise par Charles de Gaulle en 1960 envisageait une « Europe des patries », avec une plus grande intégration politique, culturelle et militaire grâce à une collaboration accrue entre les gouvernements, au lieu d’une gouvernance supranationale. Ce plan a été mis de côté en raison de la résistance de ceux qui souhaitaient « l’achèvement, l’approfondissement et l’élargissement » du traité de Rome.

La crise qui en a résulté n’a été désamorcée qu’après la mort de de Gaulle, sous la direction de son successeur, le président Georges Pompidou. En 1969, il est décidé au sommet de La Haye de formaliser le pouvoir politique de la communauté européenne. L’année suivante, la Coopération politique européenne (CPE), destinée à créer une politique étrangère coordonnée, entre en vigueur. Elle ne conférait toutefois aucun pouvoir à la Commission européenne ou au Parlement européen.

Le tournant, que les eurosceptiques libéraux considèrent le traité de Maastricht en 1992 comme le moment où l’unification européenne a perdu ses chances.. La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) a été établie comme l’un des « trois piliers » de l’UE, en plus de l’union économique et monétaire et de la coopération policière et judiciaire.

Pourtant, l’incapacité des États membres à trouver une réponse commune à des crises dangereuses proches de chez eux est rapidement devenue flagrante. Alors que l’Allemagne a soutenu le droit à l’autodétermination de la Croatie pendant la guerre en Yougoslavie, le Royaume-Uni et la France se sont implicitement rangés du côté de la Serbie en considérant la fédération yougoslave comme légitime même après la déclaration d’indépendance de la Croatie. L’erreur fondamentale du traité de Maastricht est l’hypothèse selon laquelle les conflits d’intérêts peuvent être surmontés si l’on donne aux États-nations un corset supranational. Cette hypothèse erronée influe également sur la PESC et la monnaie commune. Elle ne tient pas compte, par exemple, du fait que Lisbonne et Athènes ont naturellement une attitude vis-à-vis de la Russie qui diffère grandement de celle de Vilnius et Varsovie. Les anciennes puissances coloniales, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, ont plus de liens avec le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie que l’Allemagne. Mais en contrepartie, Berlin travaille plus étroitement avec les pays d’Europe centrale et orientale.

Des priorités divergentes

Les priorités de la politique étrangère et de sécurité varient non pas en raison du nationalisme, mais en raison d’intérêts géopolitiques et économiques divergents, ainsi que du contexte historique et culturel. Pendant la guerre en Yougoslavie, l’invasion de l’Irak, le printemps arabe, l’intervention en Libye et la guerre en Syrie, la France, l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne se sont retrouvées dans des camps différents, et aucun de ces pays n’avait de partis nationalistes au pouvoir.

La célèbre question d’Henry Kissinger « Qui dois-je appeler si je veux appeler l’Europe ? » n’a pas trouvé de réponse dans la PESC. Même trois décennies après Maastricht et plus d’un an après le Brexit, l’UE n’est pas considérée comme un bloc homogène à Washington, Moscou et Pékin, mais comme un vaste réseau lié par une coopération intergouvernementale plus importante que dans d’autres régions du monde. Les États-Unis, la Russie et la Chine tiennent certes compte des déclarations de la haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité – mais seulement après s’être assurés de la situation à Berlin, à Paris et dans d’autres capitales européennes.

Le principe de subsidiarité, si souvent invoqué et ignoré dans l’UE, devrait également s’appliquer dans le domaine de la politique étrangère. Les accords entre deux ou plusieurs pays de l’UE, ou entre des États membres individuels et des pays extérieurs à l’Union, sont souvent mieux adaptés aux réalités complexes et dynamiques. La crise qui a marqué le déploiement des vaccins en Europe l’a récemment prouvé.

Le mouvement pour sortir des relations bilatérales et s’en remettre à une solution européenne perd de la force. . Les centralistes devront accepter cette réalité, qu’ils le veuillent ou non, ne serait-ce que parce que leur capacité à tenir en laisse les pays membres diminue. Le discours de l’UE est devenu défensif ; Bruxelles tente désormais surtout de sauvegarder la centralisation déjà réalisée.
Les centralisateurs de l’UE soutiennent que les États européens ne peuvent se défendre contre les menaces extérieures qu’en unissant leurs forces – un vieil argument. L’histoire de l’Europe a connu plusieurs tentatives pour placer le continent sous une seule autorité. Dans l’Europe carolingienne, Charlemagne s’était fixé pour objectif de restaurer l’Empire romain et affronter l’empire romain d’Orient de Byzance. En Orient et au sud des Alpes, il était considéré comme un usurpateur barbare. En Occident, il a été canonisé trois siècles et demi après sa mort.

Le mythe de Charlemagne comme père de l’Europe a inspiré Napoléon dans sa tentative de subordonner le continent à une seule autorité. Les nazis et les fascistes ont poursuivi l’idée d’un unification européenne. Mais lLes efforts d’homogénéisation de l’Europe occidentale ont toujours rencontré une résistance. L’expansionnisme révolutionnaire de Napoléon, l’impérialisme raciste d’Hitler et la soviétisation de Staline ont produit de violents contre-mouvements nationaux.

Aujourd’hui encore, la centralisation et l’homogénéisation au sein de l’UE réactivent les consciences nationales. À l’heure où l’UE cherche à s’étendre en Europe du Sud-Est, les migrations et l’euro exacerbent les conflits entre ses États membres du nord et du sud. L’héritage de Charlemagne n’est plus une inspiration, mais un fardeau.

Les nations européennes se sont unies de leur plein gré lorsqu’elles ont dû combattre un ennemi commun. Elles ont lutté contre l’expansionnisme arabe et ottoman, contre la France révolutionnaire, contre l’Allemagne national-socialiste et contre l’Union soviétique. Plus récemment, l’OTAN a servi de protection contre Moscou, qui ne pouvait être tenue en échec que par des efforts conjoints.

En Allemagne, la longue carrière politique de la chancelière Angela Merkel touche à sa fin. Il est peu probable que Berlin fasse pression en faveur d’une plus grande intégration européenne au cours de la période de transition qui s’ensuivra

Nouveaux risques

Les menaces ont changé depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Si les États
membres de l’est de l’UE se sentent toujours menacés par la Russie, ce n’est plus le cas de l’Europe occidentale. À Berlin et à Paris, même l’annexion illégale de la Crimée et l’agression contre l’Ukraine ne sont pas considérées comme un obstacle permanent aux relations avec Moscou. L’Allemagne s’accroche à la construction du gazoduc Nord Stream 2, malgré l’opposition de ses voisins de l’Est et les réserves explicites de Washington.

Les centralistes européens espèrent de nouvelles initiatives de Berlin et de Paris. Mais la « locomotive franco-allemande » qui était censée entraîner les autres pays et promouvoir l’intégration est plutôt silencieuse ces derniers temps. En Allemagne, l’ère Merkel touche à sa fin. Les défaites électorales de la CDU dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie laissent penser qu’il pourrait y avoir pour la première fois un chancelier issu des Verts. On ne peut que spéculer sur les effets en matière de politique étrangère et de sécurité d’une éventuelle coalition de gauche, mais il ne faut pas s’attendre à des initiatives de politique européenne de la part de l’Allemagne cette année.

Pendant ce temps, le président français Emmanuel Macron a utilisé le faible leadership de Mme Merkel au sein de l’UE, le Brexit et la victoire de Joe Biden, pour rendre son plan de politique de sécurité commune acceptable pour les Européens. Il fait allusion à la rhétorique gaulliste, mais aspire à une UE encore plus centralisée, dirigée par la France, dans une Europe qui s’étend « de l’Atlantique à l’Oural ». M. Macron ne suppose ni n’exclut la coopération avec les États-Unis et l’OTAN, mais il insiste sur la nécessité de rendre l’Europe autonome. L’UE, dit le président français, ne peut pas compter sur Washington en cas d’urgence.  Il a suscité la controverse à Berlin lorsqu’il a fait remarquer que l’OTAN était « en état de mort cérébrale » sous le président américain Donald Trump. La ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a rétorqué que l’alliance transatlantique resterait un pilier de la politique de sécurité de son pays.

En mars 2021, le Premier ministre britannique Boris Johnson a présenté à la Chambre des communes un document complet sur les priorités de la politique étrangère et de sécurité pour les prochaines années. Il s’agit de la première redéfinition fondamentale du rôle mondial du Royaume-Uni depuis la fin de la guerre froide. M. Johnson a réaffirmé l’engagement de son pays envers l’OTAN et la sécurité euro-atlantique, et a déclaré que son pays resterait prêt à contrer les menaces émanant de la Russie. Mais l’attention géopolitique s’est déplacée vers la région Asie-Pacifique, où la Chine représente un risque croissant pour les intérêts britanniques. En conséquence, Londres souhaite coopérer plus intensément avec le Japon, la Corée du Sud, l’Inde et l’Australie. La flotte britannique sera renforcée et un porte-avions sera envoyé en mer de Chine méridionale. Le nombre d’ogives nucléaires doit passer de 180 à 260.

Le comportement de Mme Merkel, de M. Macron et de M. Johnson à l’égard du président Biden rappelle un peu celui des fils de Noé, qui couvrent la nudité de leur père. Le déclin des États-Unis et l’essor de la Chine dominent la sécurité internationale aujourd’hui, éclipsant tous les autres conflits. Et, comme avec la Russie, l’UE ne parvient pas à s’entendre sur une ligne commune vis-à-vis de Pékin. Déchirée entre ses intérêts économiques et sa crainte d’une hégémonie chinoise, l’UE assiste, comme envoûtée, à l’aggravation du conflit entre Pékin et Washington. Le monde est en train de perdre l’Europe, mais il ne semble pas que le monde s’en rende compte.

Lire l’article en anglais sur le site du GIS

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1 commenter

zelectron 20 mai 2021 - 10:10

Les expériences ratées de la politique étrangère de l’UE ou plutôt de la commission ?
Le parlement européen et la commission n’ont que les pouvoirs que leur laissent les lobbies, avec arrières pensées.

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