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Retraites : la démocratie en berne !

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On sait que la démocratie, la véritable démocratie, est un tout et que moins elle est complète, moins elle est parfaite. C’est ainsi qu’une démocratie qui ne serait que politique, sans être sociale, ni économique, ne serait pas tout à fait une véritable démocratie. Et sur ce plan, l’exemple de la France des retraites est particulièrement édifiant.

I – D’ABORD : LA MISE HORS JEU DES RETRAITÉS

On ne peut ainsi que déplorer que tout notre système de retraite se soit construit en éliminant systématiquement les retraités des centres de recherche, d’études, d’orientation, de décision et de gestion. En effet l’assurance-vieillesse, inscrite sous ce nom dans notre Code de la Sécurité sociale, suppose normalement une association et une collaboration étroites entre :

– au titre de l’assurance, les actifs qui versent les primes que sont les cotisations pour s’assurer les ressources nécessaires en cas de leur propre survie lors de leur départ en retraite ;

– au titre de la vieillesse, les retraités qui touchent des pensions correspondant à l’indemnisation du sinistre assuré qui n’est autre –la plupart des politiques et des médias l’oublient – que le financement des moyens économiques nécessaires à la survie décente de l’assuré lorsqu’à sa cessation d’activité il se trouve privé de l’essentiel et parfois de la totalité de ses ressources.

Or en réalité, toutes les manettes sans exception sont entre les mains à la fois des actifs cotisants -salariés, employeurs, indépendants et leurs syndicats- et de l’État, alors que de leur côté, les retraités sont systématiquement exclus comme des parias de toutes les institutions (entre autres: Conseil Économique Social et Environnemental, Conseil d’Orientation des Retraites, Comité de Suivi des Retraites, Haut-Commissariat à la Réforme des retraites) ainsi que de la plupart des Caisses de retraites, qui étudient, débattent, orientent ou gèrent les retraites. Il y a dans ce pays et sur ce plan précis une sorte de « négationnisme social » qui, nonobstant la passivité coupable du Défendeur des droits et l’indifférence avérée du Conseil Constitutionnel, pointe une véritable discrimination anti-âge, dont notre démocratie se détourne ostensiblement.

II – ENSUITE : LA PRÉÉMINENCE DE LA SPHÈRE PUBLIQUE

D’où vient donc en effet qu’alors que la sphère publique qui -au sens large- peine à réunir un peu plus du cinquième de la population active ou retraitée du pays, ses représentants orientent et infléchissent des retraites qui, très majoritairement ne sont pas les leurs ? Pourquoi, alors que les retraites sont censées être gérées paritairement par les employeurs, les salariés et les indépendants, est-ce donc le Gouvernement, sa majorité et sa haute administration que l’on retrouve le plus souvent seuls à la manœuvre pour jouer sur les trois leviers que sont la durée des carrières, le montant des cotisations et le niveau des pensions ? Pourquoi encore, un tout petit quart de la France (la fonction publique) décide-t-il souverainement (et d’ailleurs en flagrant conflit d’intérêts) de ses propres pensions qui sont économiquement en déficit grave et récurrent, tout en encadrant étroitement celles de tous les autres, qui sont financièrement peu ou prou à l’équilibre ? Et même pour aller plus loin sur un plan purement logique, pourquoi les acteurs du privé qui réunissent plus des trois quarts des forces vives de la Nation n’ont-ils socialement aucun pouvoir sur les retraites d’une caste publique, qui ne cesse de maintenir et accroître ses privilèges en ces temps d’argent rare où le pouvoir, incapable de maîtriser la dépense publique, ne renonce pourtant jamais à flatter une bonne partie de son électorat ?

III – ENFIN: LA MAINMISE ANNONCÉE DE L’ÉTAT SUR L’ENSEMBLE DES RETRAITES

Certes, il ne faut pas l’oublier, l’État est un employeur et à ce titre, il est normal qu’il ait – comme tous les autres employeurs, mais ni plus, ni moins – son mot à dire sur un système qu’il finance. Par ailleurs, à l’intérieur des retraites, la politique de redistribution et de solidarité représente environ le quart des sommes en cause. Donc qu’on prenne la question par un bout ou par un autre, l’État est normalement un acteur minoritaire dans la gestion d’ensemble des flux de recettes et de dépenses des retraites (près de 650 milliards d’euros au total). Or ce que prévoient les préconisations du Haut Commissaire à la Réforme des Retraites, c’est de faire de l’État l’acteur unique et souverain, en évinçant ainsi toutes les autres parties, non seulement les partenaires sociaux traditionnels que sont les actifs et leurs syndicats, les Caisses de retraite actuelles, mais bien entendu aussi les retraités, à ce point « transparents » que le pouvoir ne s’aperçoit de leur existence que pour les matraquer fiscalement ou pour rogner leurs pensions. En effet, le Conseil d’Administration de la future Caisse Nationale de Retraite Universelle ne saurait faire illusion, c’est l’État et lui seul qui, chaque année, dictera par la loi de sécurité sociale l’évolution prochaine de nos retraites

Or le modèle et le résultat de la gestion publique sont tout sauf rassurants. On citera entre autres :

01 – la retraite à 60 ans imposée par un pouvoir socialiste démagogue et irresponsable et qui compromet aujourd’hui encore tout l’équilibre de nos retraites,
02 – l’affaire tristement rocambolesque du sang contaminé,
03 – la banqueroute du Crédit Lyonnais pourtant géré par un éminent Inspecteur des Finances,
04 – la mise en place catastrophique du RSI, avec des poursuites d’huissiers sans fondement, des comptes outrageusement faux, une administration qui ne répond plus aux protestations que son incurie suscite…
05 – les conditions délirantes de la privatisation des autoroutes,
06 – la pantalonnade à un milliard d’euros du recul sur l’écotaxe,
07 – le démantèlement irresponsable et désastreux d’Alsthom,
08 – la quasi-faillite d’Areva, avec à la clef quelques opérations opaques et qui posent question,
09 – la gestion calamiteuse des urgences, de nos hôpitaux et plus largement de la santé publique,
10 – le mensonge aussi stupide qu’avéré sur l’affectation écologique de certaines taxes sur les carburants,
11 – le tripatouillage récurrent des comptes de l’ONF avec une tutelle d’État complètement incohérente,
12 – tout comme de manière plus générale l’incapacité avérée à cadrer la dépense publique.

Tous ces « loupés » n’épuisent certes pas la matière, tant notre secteur public sait se montrer inventif et entreprenant pour gaspiller l’argent public, mais ils donnent déjà un aperçu assez inquiétant des ravages que pourrait causer une politique publique irresponsable ou inconséquente dans un système économique aussi fragile, aussi sensible et aussi complexe que celui des retraites. On voit donc que trop souvent et dans le cadre d’une entité spécifique à irresponsabilité illimitée qui nargue durablement son commissaire aux comptes – lequel n’y peut mais, la gestion de l’État s’apparente davantage à un exercice périlleux, osé et coûteux qu’à une gestion avisée en bon père de famille. Or la plupart de ceux que ces exploits ont échaudés vont ressentir ce nouveau hold-up de l’État non pas comme une garantie, mais au contraire comme un risque majeur affectant l’avenir de leurs retraites. Car ils savent bien que ce pouvoir-là, qui a menti effrontément sur la garantie du pouvoir d’achat des pensions, n’a pas non plus hésité ces derniers temps à faire ouvertement des retraites la variable d’ajustement d’une politique budgétaire mal maîtrisée.

Force est donc de reconnaître que l’esprit de partage et de démocratie sociale qui inspirait le programme des « Jours Heureux » du Conseil National de la Résistance n’est manifestement plus de mise et que la prochaine réforme s’en éloignera encore un peu plus. Les retraites vont passer entièrement aux mains de technocrates publics, dont une longue pratique nous a montré que les failles et les carences étaient au moins ainsi impressionnantes que leur savoir. Or la démocratie sociale n’est pas seulement un choix de justice et de bon sens, c’est aussi une garantie importante contre des dérives inquiétantes que les intérêts spécifiques du secteur public risquent bien davantage d’aggraver que de résorber. On s’aperçoit qu’en un peu plus d’un demi-siècle, la démocratie imparfaite qui, dans un premier temps, incluait les partenaires sociaux tout en excluant les retraités, s’est dans un second temps encore détérioré lorsque le secteur public s’est progressivement arrogé le droit de faire la pluie et le beau temps dans les retraites. Et avec ce qu’on sait du troisième temps à attendre de la prochaine réforme, on peut légitimement craindre que les quelques rares ilots de démocratie subsistants ne viennent à disparaître purement et simplement lorsque la caste d’État, au plus loin des préoccupations des citoyens (les Gilets Jaunes l’attestent suffisamment), mais détentrice directement ou indirectement du pouvoir législatif, va parvenir à se débarrasser définitivement de tous les autres acteurs. En effet, les quelques 30 millions d’actifs seront désormais confinés dans la prochaine Caisse Nationale au sein d’un Conseil d’Administration aux pouvoirs très limités, avec une Assemblée citoyenne destinée à assurer la figuration, tandis que le pouvoir maintiendra résolument hors-jeu 17 millions de retraités. Par ailleurs comment ne pas relever le paradoxe qui veut qu’un État qui, par le choix assumé de l’opacité déficitaire, s’est toujours refusé à créer une Caisse autonome pour les retraites de sa propre fonction publique et qui n’a donc pas la moindre expérience d’une Caisse de retraite, veuille d’un coup imposer à tous les autres régimes déjà dotés une caisse unique, universelle et à sa botte ?

IV – CONCLUSION : UNE ÉVOLUTION À HAUT RISQUE ET PLUS QUE PRÉOCCUPANTE

Sur la pointe des pieds et sans que personne n’en souffle mot, les retraites auront alors quitté le domaine contractuel de l’assurance pour rejoindre subrepticement celui intégralement régalien de l’impôt, avec ne l’oublions pas un État qui s’est déjà par le passé offert une banqueroute des deux tiers et dont l’endettement débridé inspire aujourd’hui nettement plus de méfiance que de confiance. Or dans le contexte international, de telles défaillances étatiques ne sont plus aujourd’hui tout à fait exceptionnelles : l’Argentine et la Grèce sont là pour le rappeler, avec aussi et dans une moindre mesure les très sévères cures d’austérité entreprises en Espagne et au Portugal. Et en France même où la dette publique commence à inquiéter jusqu’aux plus complaisants des économistes, il n’y a pas si longtemps qu’un Premier Ministre, un peu plus lucide que les autres, avouait être à la tête d’un État en faillite. Les taux négatifs ne sont pas non plus une donnée pérenne. De son côté, l’agence gouvernementale France Stratégie ne s’est pas interdit d’envisager, en dehors de la voie classique mais exigeante de la rigueur budgétaire, des solutions alternatives d’apurement particulièrement douloureuses pour les citoyens qui auraient quelque bien aisément « rançonnable ». Un vieux dicton populaire recommande de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, a fortiori évidemment quand la notation internationale dudit panier ne cesse de se dégrader. Mais, (mal) représentée par un personnel politique obnubilé par sa réélection et affaiblie par secteur publique prolifique pour qui ne compte que son seul avantage, la majorité des Français a-t-elle encore un autre choix que de subir les mouvements d’humeur, les grèves et les pressions abusives de castes publiques très attachées à leurs coûteux privilèges ?

L’épisode qui perdure des Gilets Jaunes devrait pourtant pousser à réfléchir le Gouvernement. Surtout qu’au vu des atermoiements que le pouvoir envisage et des diverses concessions qu’il se dit prêt à faire, on n’est plus tout à fait aussi sûr aujourd’hui que la suppression promise des régimes spéciaux vaille guère mieux que la promesse de campagne de la garantie indéfectible du pouvoir d’achat des retraités, promptement reniée par le Chef de l’État. Or la suppression rapide des régimes spéciaux est pratiquement la seule source importante d’économie susceptible de rendre un peu moins hypothétique l’annonce d’une réforme à enveloppe constante. Car les Français doivent comprendre dés maintenant que tout ce qui affaiblira à l’avenir la situation financière de l’État compromettra aussi directement qu’irréversiblement leurs propres retraites.

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3 commentaires

PICOT 1 octobre 2019 - 7:34

Faisons un rêve.
Supposons que tous nos énarques, hauts fonctionnaires et politiques se retrouvent à la rue ou au chômage chaque fois qu'ils font une bêtise. Soyons sûrs que tout irait beaucoup mieux. Il ne leur arrive jamais rien s'ils font des erreurs, ce sont donc, par définition, des irresponsables. Allons nous supporter longtemps d'être dirigés par un caste intouchable, que nous sommes obligés de payer grassement par dessus le marché? Et bien entendu il n'est pas question de toucher aux pensions de retraite de ce joli petit monde, voyez vous. La parole est d'argent (pour nous) mais le silence est d'or (pour eux). La "réforme" c'est pour les gueux! C'est tellement gros, le piège est tellement évident (tout le monde commence à comprendre) qu'il n'est finalement pas certain que la pilule passe.

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Essentielliste 1 octobre 2019 - 10:29

democratie en Berne ou hold up de l'Etat sur ses "administrés ?
Une fois de plus je salue les écrits de Monsieur T. Benne. Tout ce qui est dit est juste, bel et beau et mieux dit que je ne saurais faire
Je ferais seulement deux remarques:
I/L'auteur considère en creux que:
Nous, représentants salariés ou pensionné de la société civile,acteurs de l'économie privée sommes déjà en train de capituler devant ce coup de force de l'Etat macronien.
ET bien non, rassemblons nos forces vives notre détermination et notre intelligence créatrice pour faire échouer ce projet étatique et ne rien céder devant cette entreprise spoliatrice.
Ne serait-il pas envisageable que sous l'égide de l'IREF et d'autres think tank résistants nous rassemblions nos énergies afin de définir les moyens les plus appropriés pour faire entendre une autre voie vers un autre projet de réforme respectueuse des droits de ces millions de travailleurs salariés du privé qui ont déjà subis la charge accablante des cotisation salariales et patronales.
2/ Répondre à la nécessité d'une large diffusion de l'information objective concernant la contribution de l'Etat au financement actuel des régimes du secteur public via l'impôt des particuliers et des entreprises.
Le problème mérite prudence et réflexion sur la façon de communiquer mais ne peut plus longtemps l'occulter étant donné le poids croissant de cette charge qui approche les 80% des déficits de l'Etat au cours des dernières années.
peut-on en parler ?
Merci de votre attention

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Thierry BENNE 4 octobre 2019 - 8:59

@ Essentielliste

Bien sûr qu'on peut en parler et même on doit en parler!.

Tout d'abord, je vous prie d'excuser ce retard, dû à des obligations rédactionnelles et autres qui finissent, en s'accumulant , par venir à bout de l'emploi du temps même du retraité le plus disponible.

En ce qui concerne un regroupement des retraités pour faire entendre leurs voix, il existe déjà de nombreuses associations, mais la plupart – c'est vrai – privilégient une approche culturelle et ludique et trop peu se soucient réellement de faire progresser les droits de leurs adhérents, Ajoutons que ces derniers font souvent preuve d'un désintérêt manifeste pour des questions techniques qui les ennuient ou sur lesquelles ils considèrent ne pas pouvoir agir. Il existe pourtant quelques associations importantes (par exemple Sauvegarde Retraites, la Confédération Française des Retraités et quelques autres) qui se sont dotées des compétences techniques et des organes d'information nécessaires pour analyser de manière indépendante et suivie l'actualité des retraites, en rendre compte fidèlement à leurs adhérents et leur dispenser le cas échéant des conseils judicieux.

Par ailleurs, peu à peu les choses sont en train de bouger et il s'est créé sous la présidence du Député Lassalle (non inscrit) un groupe de travail qui rassemble d'importantes associations, fédérations ou confédérations à l'échelon national régional ou départemental. Ce groupe s'est déjà réuni plusieurs fois à l'Assemblée Nationale en vue d'obtenir une juste représentation des retraités au sein des instances officielles, dont ils sont pour l'instant indignement chassés et auprès des Caisses de retraite où leur représentation est trop souvent symbolique.

Quant à l'IREF, même s'il ne mâche pas ses mots et s'il affirme clairement ses opinions, ses convictions et ses oppositions, l'IREF est un cercle de réflexion qui se concentre surtout sur l'examen de l'actualité, des doctrines et des choix économiques, ainsi qu'aux autres politiques publiques, qu'elles soient sociales, juridiques, fiscales, environnementales ou financières. Son but est de proposer à ses lecteurs sur tous ces sujets et quelques autres des analyses argumentées, documentées et originales, qui leur permettent de nourrir leur propre réflexion et de déterminer librement leur comportement personnel. Mais l'IREF s'interdit d'être un directeur de conscience et encore plus un organe partisan à vocation politique. C'est pour cette raison que dans le cadre des retraites, vous trouverez à l'IREF des analyses au long cours pour assurer patiemment une véritable formation et information des lecteurs à la problématique des retraites en remettant systématiquement en perspective des axes négligés ou en contrant la pensée unique et fausse qui prévaut trop souvent , mais qu'à l'inverse de certains syndicats, l'IREF ne vous indiquera jamais pour qui voter.

Je partage tout à fait votre sentiment quant à la nécessité de soulever un coin du voile sur la contribution de l'État au financement des retraites de la fonction publique et plus largement de l'ensemble des régimes spéciaux. Vous vous imaginez volontiers que le parcours est semé d'embûches et que la communication officielle très orientée n'est pas faite pour faciliter les recherches en ce domaine. Mais, si vous me laissez quelque temps (actuellement la réforme des retraites me met sur le grill…), je vous promets de considérer attentivement la question et dès que possible (dans les mois qui viennent) de mettre en chantier une étude pour tenter de réduire efficacement le périmètre de nos ignorances respectives.

Bien cordialement: Th.B

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