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Procès Monsanto-Johnson : quand la science capitule face au jury, Nicolas Hulot jubile

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« Monsanto a-t-il omis d’alerter Monsieur Johnson d’un élément substantiel lui causant un dommage ? La réponse est oui ». Le verdict du jury de San Francisco dans l’affaire qui a opposé la société Monsanto au jardinier Dewayne Johnson est lourd de conséquences. Condamné à verser 290 millions de dollars de dommages, Bayer, qui vient de racheter la multinationale tant décriée, va faire appel.

Un verdict qui pose des questions

Ce procès avait des allures de David contre Goliath. Le sort du modeste jardinier de 46 ans lourdement affaibli et mortellement condamné par son terrible cancer ne peut laisser indifférent. Ce cancer est malheureusement une maladie idiopathique, c’est-à-dire qu’un médecin ne peut pas en déterminer la cause exacte. Impossible de prouver que le Roundup, nom commercial du produit contenant le glyphosate qu’il a épandu pendant des années dans les cours d’école, est innocent. Impossible aussi de prouver qu’il est directement responsable du lymphome non-hodgkinien de Dewayne Johnson.

Deux questions fondamentales étaient posées au jury populaire. Le Roundup de Monsanto est-il cancérogène ? Et si oui, Monsanto a-t-il échoué à prévenir des risques de cancer associés à l’utilisation de son herbicide ? Le jury a répondu deux fois par l’affirmative.

La première interrogation semble pourtant problématique. Un jury populaire est-il légitime pour dire si une substance est cancérogène ou non ? Le consensus scientifique sur la question est bien établi. Une étude de grande ampleur a été publiée en novembre 2017 par le Journal of the National Cancer Institute. Réalisée à partir de 1993 sur plus de 54 000 agriculteurs, les auteurs concluent qu’aucune association statistique solide n’a pu être détectée entre l’apparition de tumeurs et le glyphosate utilisé de manière conventionnelle. Certaines données montrent qu’il pourrait y avoir un risque accru d’apparition de la leucémie myéloïde aiguë pour le quartile le plus exposé, mais sans pouvoir le prouver.

Une évaluation du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) qui a qualifié l’herbicide de « probablement cancérogène pour l’homme » (catégorie 2A) avait généré de nombreuses suspicions dans le débat public français l’année dernière. Le CIRC évalue pourtant le danger et non le risque. D’après son classement, la cigarette et la charcuterie sont qualifiés d’agents « cancérogènes pour l’homme » (catégorie 1). Mais le CIRC ne mesure pas le risque, c’est-à-dire l’exposition au danger d’un agent dans le cadre d’une utilisation conventionnelle. C’est le rôle des agences sanitaires. Celles-ci sont unanimes quant à l’innocuité du produit en utilisation respectant les prescriptions du produit[[L’utilisation conventionnelle du glyphosate ne présente pas de risque significatif selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments, Santé Canada, l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, l’Agence européenne des produits chimiques, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires suisse, l’Office fédéral de l’agriculture suisse, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques et l’Autorité australienne des pesticides et des médicaments à usage vétérinaire.]].

La science bafouée par le droit ?

Le jury de San Francisco a donc statué à l’encontre des conclusions de centaines d’études scientifiques réalisées depuis les années 70 par des milliers de scientifiques dans des dizaines de laboratoires et d’agences sanitaires à travers le monde. La vérité scientifique n’est certes pas infaillible et peut-être que de futures études montreront un caractère cancérogène. En attendant, aucun élément ne permet de l’affirmer. La juge a même souligné deux fois que les preuves étaient « minces ». Un jury populaire constitué d’individus qui n’ont ni la formation et encore moins les compétences pour évaluer les protocoles expérimentaux, leurs hypothèses, leurs méthodes, leurs résultats et en tirer une synthèse n’a pas la légitimité de bafouer les conclusions des experts.

Cette décision est grave dans la mesure où un tribunal d’un pays que l’on considère être un état de droit s’est permis de statuer sans nuance ni prudence, au nom de la Justice, sur la véracité ou non d’un fait scientifique. Certes, la justice a à connaître régulièrement des conséquences dommageables pour des personnes physiques de produits ou actes scientifiques. Mais elle ne peut le faire que sur la base de rapports d’experts. En l’espèce, les études scientifiques dans le monde sont majoritairement favorables au glyphosate et pour le moins loin d’être unanimes sur les effets de ce produit sur la santé. Dans ce cas, la justice ne peut tout au plus que condamner pour perte de chance ou risque possible. En affirmant catégoriquement que le Roundup épandu par le jardinier est à l’origine de son cancer et en condamnant la société Monsanto à une réparation aussi lourde, de près de 300 millions de dollars, le jury a pour le moins manqué de discernement et outrepassé son devoir de réserve. Il a pris une décision politique, voire idéologique . C’est une atteinte au droit et à la science.

Une récupération politique qui frôle l’hystérie

Cette atteinte n’est pas sans conséquence. Le traitement médiatique et surtout politique de cette affaire a mobilisé les anti-pesticides obscurantistes de tous bords voyant dans cette condamnation une victoire face au mensonge des scientifiques et face à la toute-puissance de la multinationale. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, n’a pas hésité à parler du « début d’une guerre » contre les pesticides. Ceux-ci sont pourtant indispensables, même en agriculture dite « biologique ». Le ministre considère, dans une interview pour Libération, que le « couple maudit Monsanto-Bayer » cherche à « mettre en coupe réglée les ressources alimentaires de la planète ». Son dogme de l’agriculture biologique et sa haine de l’agrochimie face à une nature qu’il considère comme fondamentalement bienveillante sont disproportionnés et ne reposent sur aucun élément scientifiquement étayé.

Précisons que ces réactions virulentes antiscience sont propres au débat public français. Les articles de la presse anglaise ou américaine sont beaucoup plus mesurés. Même les questions qui étaient posées au jury californien n’ont rien à voir avec la prétendue nécessité d’une « guerre contre les pesticides ». L’hystérie des populistes écologistes placés au plus haut sommet de l’État comme Nicolas Hulot et les dérives d’un système judiciaire qui bafoue le consensus scientifique ont de quoi nous inquiéter sur l’avenir de la science et de l’état de droit des deux côtés de l’Atlantique.

Pour en savoir plus sur ce sujet, vous pouvez consulter cette note de l’IREF : Glyphosate : et si l’interdire était encore plus risqué ?.

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1 commenter

Seppi 11 septembre 2018 - 9:25

Précisions
Bonjour,

"Impossible de prouver que le Roundup, nom commercial du produit contenant le glyphosate qu’il a épandu pendant des années dans les cours d’école, est innocent"?

En fait, M.Johnson n'en a épandu que — de mémoire — pendant deux années avant d'être diagnostiqué. Cela met normalement le glyphosate hors de cause, la maladie étant d'évolution lente.

"La juge a même souligné deux fois que les preuves étaient « minces »" ?

C'est un autre juge.

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