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Pouvoir d’achat : l’INSEE nous ment-il ?

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S’il est un dénominateur commun des revendications des gilets jaunes, c’est bien celui du pouvoir d’achat. Le sentiment de sa dégradation continue est ressenti par de nombreux Français. Pourtant les chiffres de l’INSEE annoncent son augmentation soutenue depuis la fin des Trente Glorieuses, même s’il a tendance à stagner depuis dix ans. L’Institut nous tromperait-il avec ses calculs ? C’est la thèse défendue par Philippe Herlin, docteur en économie du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dans son livre Pouvoir d’achat : le grand mensonge, paru aux éditions Eyrolles en septembre 2018.

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Derrière un titre quelque peu tapageur, ce réquisitoire tire à boulets rouges sur la méthodologie de calcul de l’indice des prix à la consommation (IPC) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Le directeur général de l’INSEE, Jean-Luc Tavernier, a même envoyé une lettre à Philippe Herlin, accompagnée de notes de lecture, pour répondre à ces graves accusations. Précisons que ces notes de lecture ne sont pas publiquement accessibles sur le site de l’INSEE mais que le journal Marianne les a révélées.

Le pouvoir d’achat correspond au volume de biens et services qu’un revenu permet d’acheter. L’évolution du pouvoir d’achat s’estime en soustrayant l’évolution du revenu des ménages à celle de l’IPC. Mais il faut être plus précis. Le revenu correspond en réalité au « revenu disponible brut des ménages », après avoir retiré les prélèvements obligatoires et ajouté les prestations sociales. L’IPC est censé évaluer le niveau général des prix. Si les prix des biens et services augmentent plus que les revenus, le pouvoir d’achat baisse. L’augmentation des prix est abusivement qualifiée d’inflation dans le langage courant, ce qui prête à confusion avec la perte de pouvoir d’achat de la monnaie liée à la politique de création monétaire.

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Plusieurs critiques peuvent alors être soulevées, d’une part sur l’IPC lui-même et, d’autre part, sur le fait d’assimiler l’IPC à l’inflation.

Les limites de l’IPC

L’IPC évalue les prix d’un panier de 200 000 biens et services pondérés en fonction de la consommation des ménages français. Un tel indicateur présente un certain nombre de défauts, discutés par Philippe Herlin.

Première critique, le caractère subjectif de la consommation. Chacun a ses habitudes de consommation et donc son propre indice des prix. La constitution d’un indice national est difficile, car il faut pondérer chaque produit en fonction des volumes achetés. Un locataire n’a pas les mêmes dépenses qu’un propriétaire. Un cadre et une ouvrière ne remplissent pas le même caddie. Cette pondération est habituellement critiquée, notamment concernant une potentielle sous-estimation du poids des dépenses dites « contraintes » (abonnements eau, téléphone, cantine des enfants …) dont la part dans la dépense des ménages a fortement augmenté, jusqu’à 60 % pour les ménages pauvres. Enfin, si les prix augmentent de manière générale, les consommateurs peuvent orienter leurs habitudes de consommation vers des biens et services moins onéreux, ce qui ralentit la mesure de la hausse générale des prix (effet de transfert de pondération).

Seconde critique, la prise en compte d’un « effet qualité ». Ce dernier inclut l’évolution de la qualité des produits dans l’IPC. Par exemple, le prix d’un ordinateur des années 2000 a largement diminué sur le marché du fait de l’apparition d’ordinateurs beaucoup plus performants. L’INSEE considère que ce gain de qualité est en réalité une baisse du prix des ordinateurs. Pourtant, plus personne ne fait l’acquisition de ces machines obsolètes et le prix des ordinateurs aujourd’hui achetés reste élevé. L’institut opère alors des corrections sur près de la moitié des prix de l’indice. Supputer un tel « effet qualité » ne correspond pourtant pas à la réalité de la consommation des ménages, et donc à un gain de pouvoir d’achat. Philippe Herlin relève par exemple que l’INSEE considère que l’« effet qualité » a fait baisser le prix de l’ordinateur personnel par 20 depuis 1996, ce qui ne correspond à aucune réalité ! En 2003, il a fait baisser l’inflation de 0,3 %, ce qui est très significatif (inflation de 2,2 % à l’époque).

Enfin, le secret du panier de biens et services et des relevés des prix, accessibles uniquement aux chercheurs après le filtrage d’une « instance indépendante » d’après le DG de l’INSEE, est critiqué pour son manque de transparence.

L’IPC et l’inflation

L’évaluation de l’inflation par l’IPC fait l’objet de nombreux débats parmi les économistes. La définition de l’inflation est elle-même très confuse. Si elle est historiquement cantonnée à l’augmentation de la masse monétaire, comme la définit l’économiste Ludwig Von Mises, elle fait aujourd’hui référence à l’augmentation générale des prix et à la perte de pouvoir d’achat de la monnaie. Or ce sont deux choses très différentes.

La mesure de l’inflation en tant qu’augmentation de la masse monétaire est aisée, il suffit de lire l’évolution du bilan de la banque centrale. L’IPC est une mesure approximative, nous l’avons vu, de l’augmentation du niveau des prix, mais l’associer à la perte de pouvoir d’achat de la monnaie n’est pas automatique. En effet, l’évolution des prix peut s’expliquer par de multiples facteurs comme des variations conjoncturelles, les gains de productivité, l’élimination de barrières à la concurrence ou encore une meilleure spécialisation des industries. D’autant plus que les prix ont tendance à baisser historiquement. En l’absence de création monétaire, on observerait probablement des tendances déflationnistes de fond. La perte de pouvoir d’achat de la monnaie ne peut donc se résumer à l’augmentation du niveau des prix et est possiblement encore plus importante du fait de cette déflation manquée. Méfions-nous donc des discours des commentateurs clamant « on n’observe pas d’inflation ! » en suivant simplement l’IPC.

Notons de plus que l’IPC ne prend pas en compte les biens d’investissement par construction. Ce sont souvent les premiers biens à être irrigués par l’argent gratuit créé par les banques centrales (effet Cantillon). La perte de pouvoir d’achat de la monnaie est alors sous-estimée.

Pour évaluer la part de l’augmentation des prix issue de la perte de pouvoir d’achat de la monnaie, il faut neutraliser toutes les autres sources d’évolution des prix, ce qui est extrêmement difficile. C’est notamment ce que tente de faire l’INSEE avec le fameux « effet qualité », mais cela dénature la mission première de l’IPC comme nous l’avons vu précédemment. De plus, cette neutralisation qui fait débat parmi les économistes est très délicate et contient une large part d’appréciation subjective.

L’IPC et le coût de la vie

L’IPC ne prend pas en compte les prix du logement à l’acquisition, mais ce n’est pas son rôle, parce qu’il ne tient compte que de la « consommation » et que l’achat immobilier est considéré comme un « investissement ». Le prix des logements et des emprunts immobiliers affecte pourtant le pouvoir d’achat.

En outre, la création monétaire ne se diffuse pas dans tous les secteurs à la même vitesse (effet Cantillon). Les prix du logement ne peuvent donc pas être omis dans l’évaluation de l’inflation comme perte de pouvoir d’achat de la monnaie. Ils devraient être pris en compte s pour la mesure à la fois du coût de la vie et de l’inflation, surtout lorsqu’on sait que les prix de l’immobilier ont explosé dans les années 2000, bien au-dessus de la moyenne des autres biens. L’INSEE affirme lui-même que si l’on prenait en compte les prix des dépenses d’investissement des propriétaires dans un IPC « étendu », l’inflation aurait été plus élevée de 0,5 % par an sur la période 2000-2007, ce qui est considérable.

De la même manière, par construction, l’IPC ne prend pas en compte les impôts et autres prélèvements obligatoires.

Cet indice est donc un indicateur des prix à la consommation, mais pas une estimation du coût de la vie. Malheureusement, c’est l’IPC qui est mis en avant dans les médias et par le gouvernement, notamment pour évaluer l’inflation. Cet indice est d’ailleurs d’une importance capitale tant son évolution affecte les décisions économiques, politiques, monétaires et sociales (pensions, SMIC et loyers indexés par exemple).

Quelle alternative pour l’IPC ?

Philippe Herlin réussit-il à proposer mieux ? L’auteur tente de retracer l’évolution des prix des biens de base comme l’aspirateur, l’automobile ou le kilo de saumon pour contredire les chiffres avancés par l’INSEE. Pour cela il a fouillé dans les catalogues de la Redoute et des distributeurs pour relever les prix de ces cinquante dernières années. Si l’objectif est honorable, la tâche est titanesque. Il est difficile de tirer des conclusions sur des échantillons aussi maigres, probablement insuffisants pour avoir une réelle validité statistique.

Aussi, dans son ouvrage, l’évolution des prix est rapportée au SMIC pour présenter le prix des biens en équivalent de temps de travail. Or le salaire minimum est un prix (du travail) arbitrairement fixé par les politiciens et qui n’est pas le résultat d’une confrontation de l’offre et de la demande. Il aurait été peut-être plus judicieux de prendre le salaire médian en référence afin de gommer les gains de pouvoir d’achat résultant de la hausse arbitraire du salaire minimum, à l’image de la subvention mensuelle de 100 € annoncée par Emmanuel Macron en réponse aux gilets jaunes.

Difficile donc de souscrire à la thèse du « grand mensonge » même si certains points méthodologiques sont légitimement soulevés. Difficile aussi de croire au chiffre avancé d’une baisse de pouvoir d’achat d’environ 10 % depuis les années 1980. Il est néanmoins incontestable que l’immobilier a considérablement affecté notre pouvoir d’achat sur les deux dernières décennies car les prix ont explosé.

L’IPC doit être pris avec précaution et considéré pour ce qu’il est, c’est-à-dire uniquement un indicateur de l’évolution des prix à la consommation des ménages, avec de nombreux défauts inhérents à ses hypothèses de construction. Quant à le considérer comme une bonne évaluation de la perte de pouvoir d’achat de la monnaie, cela est très discutable. Il est d’ailleurs corrigé par la suite par le taux de croissance du déflateur de la dépense de consommation finale en comptabilité nationale afin d’évaluer l’évolution du pouvoir d’achat des ménages (voir annexe).

Il serait pertinent de mettre plus en avant des « indices du coût de la vie » prenant en compte les prix d’acquisition de logement plutôt que le seul IPC. La perte de pouvoir d’achat de la monnaie due aux politiques monétaires inflationnistes devrait faire l’objet d’une autre évaluation. Afin de permettre aux instituts indépendants, comme l’IREF, de développer de nouveaux indicateurs, l’INSEE devrait rendre public en open data l’ensemble des relevés de prix et des séries temporelles qu’il mesure chaque année. En 2019 et à l’heure du numérique et d’Internet, la totale transparence des travaux et des relevés de prix de l’institut statistique d’État devrait pourtant être une évidence.

Annexe : quelques définitions statistiques utilisées par l’INSEE

+Revenu disponible brut des ménages+

comptabilité nationale

« Revenu dont disposent les ménages pour consommer ou investir, après opérations de redistribution. Il comprend l’ensemble des revenus d’activité (rémunérations salariales y compris cotisations légalement à la charge des employeurs, revenu mixte des non-salariés), des revenus de la propriété (intérêts, dividendes, revenus d’assurance-vie…) et des revenus fonciers (y compris les revenus locatifs imputés aux ménages propriétaires du logement qu’ils occupent). On y ajoute principalement les prestations sociales en espèces reçues par les ménages et on en retranche les cotisations sociales et les impôts versés. »
INSEE

+Indice des prix à la consommation (IPC)+

« L’indice des prix à la consommation (IPC) est l’instrument de mesure de l’inflation. Il permet d’estimer, entre deux périodes données, la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages.
Il est basé sur l’observation d’un panier fixe de biens et services, actualisé chaque année. Chaque produit est pondéré, dans l’indice global, proportionnellement à son poids dans la dépense de consommation des ménages.
Il est publié chaque mois au Journal Officiel. L’indice des prix hors tabac sert à indexer de nombreux contrats privés, des pensions alimentaires, des rentes viagères et aussi à indexer le SMIC.
L’indice retenu pour le SMIC est celui des « ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie » (Décret n°2013-123 du 7 février 2013).
»
INSEE (Notons qu’évaluer l’inflation, vue comme la perte de pouvoir d’achat de la monnaie due à la création monétaire, par l’IPC est très discutable, comme nous l’avons développé dans l’article)

+Pouvoir d’achat des ménages+

comptabilité nationale

« Le pouvoir d’achat correspond au volume de biens et services qu’un revenu permet d’acheter. L’évolution du pouvoir d’achat des ménages est calculée en retranchant au taux de croissance du revenu disponible brut des ménages (comptabilité nationale) le taux de croissance du déflateur de la dépense de consommation finale en comptabilité nationale. Ce dernier diffère quelque peu du taux de croissance de l’indice des prix à la consommation (IPC), principalement parce que son champ est plus large que celui de l’IPC. Il couvre notamment la consommation de services de logement imputée aux ménages propriétaires du logement qu’ils occupent, les services d’intermédiation bancaires consommés par les ménages, la consommation de services d’assurance-vie… En outre, pour certains produits spécifiques comme l’assurance-dommages, la méthodologie suivie par les comptables nationaux diffère quelque peu de celle de l’IPC. »
INSEE

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+Pouvoir d’achat de la monnaie+

Évolution en valeur versus Évolution en volume

« Le pouvoir d’achat de la monnaie est la quantité de biens et de services qu’il est possible de se procurer avec une unité monétaire. Du fait de la hausse des prix, le pouvoir d’achat de la monnaie se déprécie au cours du temps. A l’extérieur du pays il diminue en cas de dépréciation et de dévaluation et augmente dans les cas inverses.
Pour observer l’évolution réelle de l’activité économique (production, consommation,…) il est donc nécessaire de tenir compte des effets de l’inflation. On distingue ainsi les évolutions à prix courants (sans correction de l’effet de l’inflation) des évolutions à prix constants (avec correction de l’effet de l’inflation). Dans le premier cas il s’agit d’une évolution en valeur et dans le second d’une évolution en volume.
Pour approximer l’inflation (ou la déflation), on utilise en général l’indice des prix à la consommation (IPC).
»
INSEE (Notons que contrairement à ce qui est écrit, c’est bien l’augmentation de la masse monétaire qui entraîne la hausse généralisée des prix, ce qui porte à confusion sur la définition de l’inflation)

+Déflateur+

« De manière générale, un déflateur implicite mesure les variations de prix dans un domaine de l’économie en divisant la grandeur en valeur par cette même grandeur en volume.
Les déflateurs implicites sont nommés d’après l’agrégat utilisé. Les déflateurs du PIB, de la dépense de consommation finale, de la formation de capital brute, des exportations et des importations mesurent les variations de prix dans leurs domaines respectifs de l’économie. Ils sont utilisés pour corriger les agrégats des effets de l’inflation.
Le déflateur du PIB s’écarte de l’indice des prix à la consommation, en fonction notamment, de l’évolution des prix des importations, des exportations et de la FBCF.
»
INSEE

Lettre du DG de l’INSEE à Philippe Herlin
Notes de lecture de l’INSEE sur le livre de Philippe Herlin
Réponse de Philippe Herlin aux commentaires de l’INSEE

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1 commenter

VIEUXCOYOTE 5 février 2019 - 7:30

IPC et IMPOTS
Il me semblerait logique de tenir compte dans l'IPC de l'imposition des ménages du moins ceux qui sont fiscalisés.

Il devrait y avoir en fait 2 IPC

– Un pour ceux non assujettis à L'IR
– Un pour ceux qui payent l'IR

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