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Pas de géants européens : que peut faire l’Union européenne ?

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Google, Apple, Amazon, Facebook, Uber, Airbnb : de nombreuses entreprises ont fondamentalement changé nos vies ces dernières années, et ils en sont les champions. Bien que leurs modèles économiques diffèrent, aucun ne vient d’Europe. Si l’on excepte les serial entrepreneurs de Rocket Internet à Berlin, SAP est la seule grande entreprise du numérique en Allemagne.
L’UE a-t-elle un rôle à jouer pour changer cela? La réponse est oui. Cependant, cela ne se fera pas à coups de nouvelles subvention ou de régulation pointilleuse, mais par l’ouverture des marchés.

Très peu d’entreprises technologiques en Europe

La situation des entreprises technologiques en Europe est plutôt mauvaise, que ce soit celle des géants déjà établis ou celle des potentielles futures superstars. Les start-ups qui sont ou seront bientôt évaluées à plus de 1 milliard de dollars sont répertoriées sur le site CB Insights. Au total, près de 480. Elles sont pour la majorité centrées sur l’informatique et spécialisées dans les logiciels. Près de la moitié viennent des États-Unis, un quart de la Chine, et seulement 12% d’Europe (dont 40% du Royaume-Uni).

INVESTISSEMENT EN CAPITAL RISQUE
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Différents facteurs expliquent l’absence d’entreprises européennes technologiques mondiales. Pour la plupart, ils ne pas du ressort de l’UE.

Pas de « Valley » européenne

En Europe, il y a une absence criante de hubs technologiques où les entreprises seraient intimement connectées avec les grands instituts de recherche. Alors que des firmes américaines majeures comme Stanford ou Berkeley envoient leurs talents vers les entreprises innovantes de la Silicon Valley, l’Europe manque d’instituts de recherche de haut niveau, particulièrement sur le continent. Le top 20 mondial n’en comporte que deux, elles sont suisses.

Promouvoir ces hubs ne correspond cependant pas aux prérogatives de l’UE. Premièrement, les hubs technologiques sont forcément régionaux. Par exemple, l’Espagne n’aurait que très peu d’intérêt à co-financer un institut de recherche dans l’est de la France. Deuxièmement, les questions d’éducation relèvent de l’échelon national, ou régional dans le cas de l’Allemagne. Par conséquent, ce sont les États membres et leurs administrations locales qui sont responsables du développement d’une recherche universitaire de qualité, des infrastructures de recherche ainsi que des entreprises.

Peu d’investissement dans les jeunes entreprises

Les jeunes entreprises souhaitant se lancer dans un business risqué ont souvent recours au Venture Capital (fonds investissant dans les start-ups à fort potentiel de croissance) plutôt qu’à des prêts bancaires. Selon les données de l’OCDE, les pays européens sont loin derrière les États-Unis dans ce domaine aussi. En 2019, le montant des investissements des Venture Capital aux USA équivalait à 0.63% du PIB. En Allemagne il est autour de 0,056%, un dixième du total américain.

COMPARAISON INVESTISSEMENT CAPITAL RISQUE
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L’écart entre les États-Unis et l’Allemagne n’a pas diminué ces dernières années. Au contraire, même. Entre 2010 et 2019, le volume de ces investissements a augmenté de 345% aux États-Unis, 215% en France, et 130% en Allemagne. Certains pays d’Europe de l’Est ainsi que la Corée progressent même plus que les États-Unis. Tous les autres pays de l’UE ont connu un taux de croissance plus bas, voire une baisse.

Les investissements et le développement d’idées innovantes vont main dans la main. Aux États-Unis, des réseaux composés d’infrastructures de recherche, d’entreprises, d’entrepreneurs à succès et d’investisseurs, se sont développés en Californie mais aussi sur la côte Est à proximité de l’université d’Harvard et du MIT. De tels réseaux ne peuvent être construits par de la planification et des décisions étatiques. L’UE ne doit pas chercher à promouvoir les hubs technologiques par des subventions directes (par exemple de la Banque européenne d’investissement). Elle ne possède pas nécessairement l’expertise requise et ses représentants n’ont pas les motivations qu’auraient des investisseurs privés. Car à la différence de l’UE, aux Etats-Unis, les investisseurs privés dépensent leur propre argent. Leurs actions étant dictées par le risque qu’ils prennent, ils cherchent à investir le plus intelligemment possible. Le risque est un puissant incubateur de bonnes idées.

Une plus grosse économie, des marchés plus petits

Quand des entreprises à succès dans le secteur de l’informatique commencent à se développer au sein de leur marché intérieur, alors la grande taille de ce marché est un avantage. Le marché commun européen est important, même comparé à celui des États-Unis, avec ses 500 millions de consommateurs. Mais il demeure fragmenté. A cela plusieurs raisons, qui tiennent d’abord aux barrières de langue et de culture (24 langues officielles !). Les fournisseurs doivent donc traduire les contrats, termes et conditions, sites internet et les applis 23 fois s’ils veulent couvrir tout le marché, et ce n’est pas des décisions politiques qui viendront à leur secours. Les législations et régulations spécifiques à chaque pays compliquent encore la tâche. Difficile dans ces conditions de se hisser à un niveau international.

Un marché unique du digital: libéraliser les services

Il y a deux façons de se débarrasser des obstacles que constituent les législations et les régulations excessives.
Avant tout, les règles doivent être harmonisées. Depuis 2015, la stratégie du marché unique du digital propose d’améliorer les conditions d’harmonisation des règles contractuelles concernant les entreprises présentes sur internet. Les agents impliqués dans ce domaine seront donc moins gênés par les spécificités nationales et les consommateurs pourront avoir confiance dans les fournisseurs nationaux et étrangers qui respecteront les mêmes règles. L’harmonisation des régulations implique cependant un risque : celui de limiter la diversité des expériences au sein de l’UE. Une seconde option serait d’établir des accords reconnus mutuellement entre les pays membres. Cela simplifierait les échanges de biens et services sans les potentielles conséquences négatives d’une harmonisation générale. C’est déjà le cas pour certains produits qui ne sont pas régulés par une législation européenne uniforme. Les biens qui transitent par un État membre pourraient aussi être vendus aux autres pays de l’UE.

Ce principe de reconnaissance mutuelle n’est pas encore appliqué aux services, même si la Commission européenne prévoit de le faire. La première ébauche de la directive européenne sur les services de 2006 prévoyait que le principe du pays d’origine devait aussi s’appliquer aux services. Cela aurait permis qu’un service légal dans un pays membre le soit aussi dans les autres. Mais on a préféré harmoniser les règles propres aux services. Il y a cependant beaucoup d’exceptions. Par exemple, pas de régulations harmonisées pour les services « d’intérêt général », les services financiers, les services propres aux communications électroniques, les services publics et privés de santé, les services de transport, et pour les jeux de hasard. Ces domaines relèvent encore des législations nationales. Ces exceptions montrent que le marché européen commun est fragmenté dans les industries proches de l’innovation digitale.

Afin de permettre aux fournisseurs européens de services technologiques d’accéder à un réel marché commun, l’UE se doit d’adopter le principe de reconnaissance mutuelle des règles les concernant.

Se débarrasser des barrières

Les possibilités pour l’UE de développer de réels hubs technologiques sont certes limitées, mais elles ne doivent pas être négligées. Pour avoir quelque chance, l’UE doit surtout bannir les politiques interventionnistes et ne pas tenter de se mettre dans la position d’un investisseur. Elle doit au contraire se concentrer sur une de ses compétences essentielles : unifier le marché commun en ouvrant les marchés nationaux. Cela permettrait d’épauler les initiatives technologiques innovantes – souvent guidées par les hubs technologiques et les start-ups européennes – pour éventuellement les propulser vers une reconnaissance internationale.
Lire l’article en anglais

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1 commenter

Samuel Furfari 18 septembre 2020 - 7:06

Idem pour l’energie
“Pour avoir quelque chance, l’UE doit surtout bannir les politiques interventionnistes et ne pas tenter de se mettre dans la position d’un investisseur“. C’est exactement ce qu’elle fait en matière d’énergie. Les milliards vont être distribués là où l‘UE le décide.

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