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Les travailleurs en « freelance » sont contre le salariat

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En Califormie, au Royaume-Uni, la loi s’attaque au travail en freelance. Son but : réintégrer ces travailleurs libres dans le salariat classique. Mais les travailleurs libres ne sont pas d’accord, et le font savoir.

Au tapis UBER, LYFT et consorts, toutes ces plateformes auxquelles tout un chacun peut proposer ses services en tant que travailleur indépendant. En Californie, l’Assembly bill 5, dite loi AB5, impose des conditions drastiques pour que ces travailleurs soient considérés comme indépendants. A défaut de remplir ces conditions, le travailleur sera requalifié en salarié. La loi a pour but de protéger les individus de l’exploitation des plateformes comme UBER. Et d’obliger les entreprises à embaucher plutôt que de recourir au travail en freelance.

Cette loi a eu un effet immédiat. Le site Vox a décidé de se passer de ses quelque 200 freelancers (travailleurs libres), qui verront donc leurs revenus issus de Vox disparaître. Mais bien sûr, conformément à la loi, il y aura des embauches. Une vingtaine de personnes…

Le monde du freelance californien est vent debout contre la loi. Il redoute une baisse des revenus des freelancers, en raison de la perte des contrats qu’elle entraînerait. Curieux effets d’une loi qui prétend protéger les travailleurs en faisant baisser leur niveau de vie…

Au Royaume-Uni, l’association des travailleurs indépendants, l’IPSE, lutte contre la loi IR 35, qui permet de requalifier en contrat de salariat des contrats de freelance passés avec le secteur public. Elle a été élargie au secteur privé, cette version devant entrer en vigueur en avril 2020.

En France, c’est le Conseil constitutionnel qui censure un article de loi qui empêchait un juge de requalifier en contrat de travail l’engagement des travailleurs indépendants au service de plateformes électroniques. Le Conseil constitutionnel considère que c’est un juge qui doit en décider.

Les travailleurs en freelance ne sont donc pas en odeur de sainteté. Pourquoi ?

L’essor du travail en freelance

Le travail en freelance connaît un développement fulgurant. Selon le site Upwork, 35 % des travailleurs aux USA l’ont pratiqué en 2019. 60 % l’ont fait par choix, 40 % par nécessité, 28 % à temps plein. En France, selon l’étude Malt.fr, 90 % des freelancers le sont par choix. Et 80 % travaillent à temps plein.

Les statistiques révèlent plus de diversité qu’on ne l’imaginerait. Aux USA, 25 % de ceux qui ont un emploi à temps plein effectuent également un travail en freelance. D’autre part, le freelance concerne essentiellement le travail qualifié, contrairement à ce que l’expression gig economy (économie des petits boulots) laisse entendre. Ainsi, toujours aux USA, 41 % des post graduates sont freelancers. En France, 92 % des freelancers voient le freelancing comme une situation de long terme. Et 88 % ne souhaitent pas redevenir salariés.

Nous sommes loin de l’économie des petits boulots. L’étude MBO State of independence 2019 souligne que le salaire moyen des freelancers américains à plein temps est supérieur au salaire moyen toutes catégories du pays. Le freelance est de plus en plus souvent un choix. Il permet à ceux qui le pratiquent d’adapter leur travail à leurs obligations et, selon l’étude Upwork 2019, 46 % d’entre eux affirment qu’ils jouissent ainsi d’une flexibilité dont ils ont besoin.

Selon l’étude MBO Partners, State of independence in America (2019), 46 % des indépendants à temps plein déclarent que leur première source d’emploi est la bouche à oreille. Une étude du McKinsey Global Institute réalisée en 2016 (aux USA, au Royaume-Uni, en France, en Espagne en Allemagne et en Suède) indiquait que 15 % seulement des travailleurs en freelance utilisaient une plate-forme digitale. Le chiffre a probablement évolué depuis, mais il montrait déjà que si les plateformes accompagnent le développement du freelance, elles ne l’ont pas créé.

Le salarié, un freelance comme les autres ?

L’essor du freelance intrigue. Généralement, il est mal vu. Il est considéré comme un pis-aller pour les travailleurs… en contradiction totale avec la réalité du phénomène.

Le travail en indépendant n’est pas une nouveauté dans l’économie post révolution industrielle. Selon un rapport sur la protection des non salariés, publié par le Haut Conseil du financement de la protection sociale en 2016, en 1955, les non-salariés représentaient près d’un tiers du total des actifs occupés.

Le cumul d’un emploi salarié et d’une activité annexe n’est pas nouveau non plus. Il était courant par exemple chez les ouvriers agricoles qui avaient leur basse-cour et vendaient leurs volailles, ou chez les ouvriers dans l’industrie qui cultivaient leurs potagers, etc., les exemples sont nombreux.

Par ailleurs, la frontière entre travail salarié et travail en indépendant n’est pas toujours nette. Un informaticien peut être embauché sur plusieurs projets avec des employeurs différents, une femme de ménage travailler chez plusieurs clients, les deux peuvent être salariés ou indépendants…

Comme le souligne Alvin Toffler, le travail se présente parfois sous la forme d’une succession de missions. William Bridges lui, dans La conquête du travail (1995, Village Mondial), constate que nous sommes tous des entrepreneurs individuels. Il emploie l’expression « Me.inc », pour Me Incorporated, qui peut se traduire par « l’entreprise moi ». Aujourd’hui, le futur salarié commence par choisir une formation qui lui semble offrir des opportunités. S’ils en ont les moyens, ses parents financent son école, c’est une forme d’investissement, comme pour une entreprise. Ensuite, il faudra continuer à investir pour entretenir ses compétences, pour éventuellement changer de clients ou d’employeur, au gré des opportunités. C’est un comportement d’entrepreneur.
Il est parfois associé à des tactiques de prestataires de services. C’est ce qui ressort d’une série d’interviews d’employeurs dans le secteur informatique.

Politique et économie

La législation autour de la prestation de service qu’est le travail n’a cessé de se développer au fil de l’histoire. L’Etat moderne s’intéresse au salarié au noble motif qu’il faut le protéger, car il se trouve dans une situation inégalitaire vis-à-vis du patron (et au motif peut-être un peu moins noble… qu’il vote !). Le salarié doit avoir des droits, parmi lesquels figure un système social financé par… les entreprises, donc de manière invisible pour le citoyen.
On peut remarquer que la loi AB5 suit le même schéma. Son but est de « protéger » les freelancers des entreprises qui les « exploitent » en ne payant pas les taxes sur le travail. Et de faire payer ces taxes sur le travail aux entreprises. Cependant, ceux que la loi a pour but de protéger se révoltent… contre la loi !

Les choses ont beaucoup évolué en peu d’années. Le travail apparaît de plus en plus comme une prestation de service et le développement de l’économie de marché a rendu les gens plus indépendants, plus autonomes. On ne raisonne plus, sans nuances, en dominants et dominés, l’économie de marché instauredes rapports plus égalitaires, sur la base du contrat. Elle offre des possibilités et une flexibilité dont beaucoup entendent profiter pour vivre beaucoup plus à leur rythme propre.
On observe donc une opposition de plus en plus flagrante entre l’idéologie qui a façonné, et façonne encore, le droit du travail, ainsi que la jurisprudence d’une part, et la réalité d’autre part. L’économie de marché a émancipé le travailleur, le freelance en est l’illustration la plus évidente. Mais on veut réintégrer le freelance dans la logique de la domination, contre le gré de ceux qui l’ont plébiscité.

Autre problème, le financement de la politique sociale. Même si aux USA, l’État providence est moins développé qu’en Europe, même s’il diffère d’un Etat à l’autre, il existe. L’un des enjeux de la loi AB5 est de faire payer les cotisations sociales sur le travail par les entreprises. On pourrait penser qu’il serait plus simple de faire payer les freelancers pour l’assurance maladie, les retraites. Mais ce n’est pas la logique politique actuelle : ceux qui bénéficient des prestations n’en connaissent pas le coût, ne les payant pas directement. Et ce sont eux qui votent…

La loi AB5 prétend donc protéger des gens qui, eux, estiment qu’elle les lèse. Elle ignore l’évolution des mentalités envers le travail, elle s’arc-boute sur des conceptions que la réalité dépasse au galop. C’est l’ancien monde qui refuse de revoir ses conditions pour accueillir le nouveau monde.

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