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Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé

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La flambée des prix de l’énergie, gaz, pétrole et électricité, a servi d’argument aux opposants du marché libre pour dénoncer ses excès et blâmer le « capital » de s’enrichir en profitant de la pénurie. Les anti-libéralisation du marché de l’énergie sont nombreux à l’extrême-gauche, à gauche et même à droite. Leur discours idéologique tient assez peu, face aux faits. Rappelons que la flambée des prix que nous connaissons est inédite par son ampleur. Elle est surtout causée par une conjoncture non moins exceptionnelle. Cette situation n’est pas appelée à durer et les prix devraient sensiblement redescendre en mai-juin 2022. Les opposants oublient deux faits substantiels : avant la crise les prix de l’énergie avaient atteint un niveau très bas, personne ne s’était plaint de la libéralisation du marché à ce moment-là ; et contrairement à ce qu’ils professent, c’est la France qui a le moins libéralisé son marché de l’énergie parmi les pays d’Europe de l’Ouest. Elle s’y est résolue sous la pression de la Commission européenne, mais elle a néanmoins maintenu divers mécanismes de régulation. Enfin, le Gouvernement est aujourd’hui engagé dans un contentieux avec la Commission, car celle-ci souhaite que la France poursuive la libéralisation de son marché de l’énergie.

Les prix de l’énergie sont fixés par l’Etat non par le marché

Concernant la fourniture de l’électricité et du gaz, l’Union européenne a forcé la France à s’ouvrir à la concurrence. Les fournisseurs, ex-monopoles d’Etat (EDF et GDF devenu Engie), doivent désormais faire face à la concurrence de Total, Eni et autres. C’est est une bonne nouvelle pour le consommateur. Pour autant, les différents gouvernements ont maintenu un tarif réglementé de vente (TRV) sur le gaz et l’électricité. Le TRV est fixé par la Commission de la régulation de l’énergie (CRE). Il ne s’applique qu’aux fournisseurs historiques, de manière contrainte. Les autres sont libres de fixer leurs tarifs, mais ils le font en tenant compte du TRV, leurs offres étant comprises entre plus ou moins 5 à 10% de cette référence. La CRE fixe le TRV deux fois par an. Une originalité qui nous est propre, nos voisins européens ayant supprimé tout mécanisme de régulation des prix. Le TRV gaz doit disparaître en 2023, mais le TRV électricité bénéficie d’un sursis à durée encore indéterminée.

Le TRV est un savant calcul technocratique qui se fonde sur le coût d’achat, le coût de distribution, le coût d’infrastructure réseau et le coût de fourniture. A ces divers coûts s’ajoutent diverses taxes. La formule est élaborée par des fonctionnaires et des administrateurs puis approuvée par les membres de la Commission.

En outre, la France, pour maintenir un système hybride entre marché libre et tarif réglementé, a créé au travers de la loi Nome en 2010, le dispositif de l’ARENH (accès réglementé à l’énergie nucléaire historique). Ainsi, les fournisseurs d’électricité peuvent acheter de l’électricité nucléaire à EDF à un prix fixe de 42 euros mais la quantité est limitée à 100 GWhs/ an. Ce dispositif, à l’opposé de la vision libérale de la Commission européenne, n’a été accepté par celle-ci qu’à la condition d’être transitoire. Il doit s’éteindre en 2025 mais le Gouvernement a, d’ores et déjà, annoncé qu’il planchait sur un nouveau dispositif similaire. Inutile de dire que la Commission européenne n’a pas donné son aval.

Le marché est faussé par la faible concurrence sur la production d’électricité

Si la fourniture de l’électricité a été ouverte à la concurrence en France, les gouvernements successifs ont institué des garde-fous sur les moyens de production. Aujourd’hui, EDF produit entre 80 et 85% de l’électricité en France. La production d’électricité nucléaire est restée son monopole et elle gère les trois-quarts des barrages hydrauliques. Il n’a jamais été envisagé d’ouvrir la construction des centrales nucléaires à la concurrence. Opération complexe il est vrai, mais les Américains et les Anglais l’ont fait. D’ailleurs, EDF co-construit avec un opérateur britannique la centrale nucléaire de Hinkley Point au Royaume-Uni.

L’ouverture à la concurrence des barrages hydrauliques est plus aisée car ils sont la propriété de l’Etat ou des collectivités territoriales qui en délèguent la gestion à des opérateurs privés. Dans le cadre du projet Hercule la Commission européenne avait exigé de vrais appels d’offres publics sur la gestion des concessions bientôt échues. Le Gouvernement, pour contourner les exigences de la Commission, a cherché une parade en prévoyant de placer les barrages gérés par EDF dans un système de quasi-régie. En d’autres termes, la gestion des barrages aurait été confiée à une entité publique. Face à l’échec du plan Grand EDF, le Gouvernement, continue à chercher une solution pour éviter une mise sur le marché des concessions.

Ainsi, seule la production d’électricité à base d’énergie renouvelable est véritablement ouverte à la concurrence. L’installation d’éoliennes, de panneaux solaires ou d’unités de production de biométhane donne lieu à de véritables appels d’offres, grâce à l’UE. Sans elle, la Direction générale énergie climat (DGEC) favoriserait certainement EDF. De fait, les innovations sur les énergies renouvelables sont nombreuses et les coûts ont fortement baissé ces dernières années. A l’opposé, EDF est, avec, le nucléaire dans une position de marché confortable mais demeure tributaire de l’Etat pour investir. Ce qui explique que les Américains maîtrisent déjà la technologie des Small modular reactor (SMR) alors que nous n’en sommes qu’au stade du laboratoire. Par ailleurs, les grandes hésitations politiques sur le nucléaire sont un frein à l’innovation, les débouchés n’étant pas garantis. Ainsi, les projets Astrid et Superphénix, tous deux abandonnés pour des considérations politiciennes, auraient pu faire de la France un précurseur dans le recyclage des déchets nucléaires.

En conclusion, le secteur de l’énergie souffre d’une régulation trop importante. L’UE appuie la libéralisation pour créer un marché unique de l’énergie mais la France s’y refuse. L’Etat souhaite garder le contrôle car il en tire des recettes importantes au travers des taxes et des dividendes. Mais cela se fait aux dépends des fournisseurs et des consommateurs. Les fournisseurs font des marges plus faibles et les consommateurs, eux, ne savent pas vraiment à quoi correspond le prix qu’ils payent.

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7 commentaires

Tibus 54 24 novembre 2021 - 5:22

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
L’Etat étant propriétaire d’EDF à 84 0/0 ce débat électrique est une « endogabegie » totale.

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Serge GRASS 24 novembre 2021 - 6:57

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
Considérer que l’ ARENH est un élément de développement de la concurrence favorable aux consommateurs est pour le moins osé. Ce sont les marchands qui en bénéficient qui exigent l’augmentation du tarif régulé pour augmenter leurs marges. Alors que c’est EDF, qui produit, qui livre et qui relève les compteurs. Les marchands n’apportent rien, ils se comportent en parasites. Quant aux énergies renouvelables, l’électricité éolienne est payée trois fois le prix du marché pendant 20 ans après quoi les installations sont détruites pour permettre de recommences ce pillage de l’argent public, et ce, au nom du développement durable !

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Gilbert Pajot, ingénieur consei 24 novembre 2021 - 8:02

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
Bonjour ;

Merci pour cet excellent article, très réaliste. Concernant l’ ARENH, la quantité d’électricité, mise à la disposition des autres fournisseurs, est de 100 TWh (térawatt/heure, soit 100.000.000.000 de
kWh), et non 100 GWh. Gilbert Pajot.

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AlainD 24 novembre 2021 - 9:15

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
Je suis plutôt d’accord avec Serge Grass : les revendeurs tels Total ou Engie et autres ne produisent pas grand chose et se contentent le plus souvent d’acheter à EDF de l’énergie à bas prix pour la refacturer aux utilisateurs. Je ne vois pas vraiment l’intérêt de cette « libéralisation ». qui n’en est pas une.

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JC Clement 24 novembre 2021 - 10:38

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
Excellent article, très factuel et c’est rare sur le sujet. D’abord, avant toute chose, depuis la Suisse qui est bêtement sortie du nucléaire à la suite des Allemands tout aussi bêtes, bravo à la France d’avoir conservé son parc. Je suis très critique envers la France en général, mais sur le plan de l’énergie, c’est le bon choix.
Oui, les prix se détendent dès le Q02 de 2022. Les courbes forward notamment sur le TTF, le gaz néerlandais, le montrent. Le souci cet hiver, c’est le stock de gaz. C’est la réunion de plusieurs problèmes structurels et conjoncturels : d’abord, l’hiver long en 2021, et des stocks de gaz qui sont tombés très bas, en Europe et en Russie. Ensuite, la reprise post-covid. Enfin, l’absence de vent en Allemagne sur la première moitié de 2021, qui a fait que les éoliennes chères à Frau Merkel n’ont que peu tourné et qu’on a pompé tout le gaz pour compenser. Plus structurellement, un sous investissement endémique chez Gazprom car durant la période 2016-2020, les prix étaient très très bas. Donc, on a d’un coup besoin de gaz, Poutine dit « priorité à la Russie » et voilà qu’on manque de gaz… et que le mix allemand, dominé par le gaz avec des prix des contrats CO2 qui avoisinent 70 EUR/T, pousse les prix de l’électricité aux sommets…
C’est injuste pour la France, ou pour l’Espagne, qui ont des mix bien mieux diversifiés que l’Allemagne, avec notamment une énergie baseload soutenue par le nucléaire. Mais la règle du Merit Order dans l’EU est claire, le prix de l’électricité est dicté par le fuel marginal.
Point cocasse pour finir : la Razon, journal espagnol conservateur, soulignait que les consommateurs les plus impactés par « el precio de la luz » étaient surtout… les clients au tarif régulé. En effet, ceux au marché libre avait pu hedger sur des contrats long terme leur approvisionnement, et ont passé la hausse des prix – qui n’est pas finie – avec une sérénité bonhomme…

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VICTOR 25 novembre 2021 - 9:40

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
Un bel exemple d’idéologie ultra libérale.
Pour ne prendre qu’un exemple parmi les nombreuses contre vérités de cet article dire que l’éolien est véritablement ouvert à la concurrence en omettant de préciser, et on comprend bien pourquoi, que sa production (quand le vent le veut bien!) est prioritairement déverser sur le réseau en réduisant la production des autres producteurs dits non renouvelables et de plus à un prix garanti !
Si on appelle ça un marché libre je veux bien être pendu (c’est une image!)
Les financiers ont bien compris tout l’intérêt de ce pseudo « marché libre » et le syndicat du renouvelable (SER) aussi….
L’auteur devrait aussi nous expliquer pourquoi le prix de l’électricité n’a jamais baissé en Allemagne et qu’il est presque le double de la France: l’exemple parfait que l’électricité est un produit spécifique qui ne peut par ses caractéristiques physiques immuables se plier aux « lois » de l’économie qui plus est libérale, un peu comme le train où il est impossible d’appliquer ces fameuses lois quand il s’agit de faire transiter « librement » X trains sur une même voie!

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JC Clement 26 novembre 2021 - 11:33

Le marché français de l’énergie est loin d’être pleinement libéralisé
La France a fait le bon choix et le marché ne lui rend pas grâce. Ce matin, presque 30 EUR de plus sur le contrat 1MW en France pour 2022 vs l’Allemagne! Alors que la France a une électricité pas cher, le nucléaire… En faisant un petit calcul sur une décomposition horaire, on pourrait arriver à des heures en France qui cotent à plus de 1000 EUR en hiver, notamment celles de 19h et de 20h… c’est profondément injuste, et certains de vos politiques ont raison de remettre en cause la logique du Merit Order, inadaptée ici.

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