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Le coronavirus aura-t-il raison de l’Europe sociale ?

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La crise sanitaire a mis en sommeil nombre de projets gouvernementaux. Emmanuel Macron a décidé « que toutes les réformes en cours seraient suspendues à commencer par la réforme des retraites ».

A Bruxelles, il semble que les fonctionnaires européens soient toujours au travail. Ainsi, le 18 mars, la Commission européenne transmettait-elle au Royaume-Uni un projet d’accord sur le nouveau partenariat avec l’Union européenne (UE).

Cela dit, il est probable que l’activité de l’UE se réduise dans les jours prochains et que le programme de travail présenté par la Commission fin janvier pour l’année 2020 connaisse quelques ratées au démarrage.

Souhaitons également que le programme social, présenté le 14 janvier 2020 pour les années 2020-2021, soit mis en attente. Espérons même que la crise économique qui accompagne celle du coronavirus, et qui risque de se prolonger bien après la fin de l’épidémie, ait raison de cette feuille de route.

Le socle européen des droits sociaux

Ce premier programme social de la Commission européenne doit mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux adopté à Göteborg, en Suède, en novembre 2017.

Rappelons que ce socle européen des droits sociaux a pour objectif « de conférer aux citoyens des droits nouveaux et plus efficaces ». Pour cela, 20 principes clés ont été érigés, classés en trois chapitres : égalité des chances et accès au marché du travail ; conditions de travail équitables ; protection et insertion sociales.

Ces 20 principes sont une longue litanie de bonnes intentions couplées à des droits-créances – les incontournables « droits à » – qui visent à l’harmonisation dans le champ social, c’est-à-dire à l’amoindrissement de la concurrence entre les pays de l’UE. On ne dira jamais assez combien l’Union européenne est schizophrène, adoptant tantôt une vision très étriquée de la concurrence, empêchant par exemple des entreprises de fusionner, tantôt une position cherchant à limiter la concurrence, en particulier fiscale et sociale, par une harmonisation forcée.

Selon les dirigeants européens, l’absence de concurrence est néfaste pour le consommateur, mais l’harmonisation est bénéfique. Comprenne qui pourra !

Manifestement, pour le Conseil européen, la Commission et le Parlement, tous trois réunis à Göteborg pour élaborer ce socle, l’harmonisation est souhaitable dans le domaine social. D’où ces 20 principes qui vont du droit à « une éducation inclusive et de qualité » au droit « à accéder à des services essentiels de qualité », en passant par le « droit à des soins de longue durée à des prix abordables et de qualité », le « droit à un niveau élevé de sécurité et de protection de la santé au travail », le droit « à un salaire juste permettant un niveau de vie décent » et même le droit à la protection des « données à caractère personnel dans le contexte de la relation de travail ».

Des stratégies tous azimuts

Ce qui est incroyable avec l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, c’est que, comme dans Le Guépard, tout change pour que rien ne change. Un nouveau Parlement a été élu en juin 2019, une nouvelle Commission a pris place au Berlaymont en décembre de la même année et le Conseil change au gré des élections dans chacun des pays membres. Malgré cela, le socle européen des droits sociaux de 2017 continue de s’imposer. Les têtes ont changé à Bruxelles, mais la politique reste la même.

Ursula von der Leyen a donc annoncé, le 14 janvier, le lancement de diverses stratégies pour mettre en œuvre ce socle des droits sociaux. A la fin du premier trimestre 2020 seront lancées une stratégie industrielle soutenant la transition écologique et numérique dans des conditions de concurrence équitables, une nouvelle stratégie pour l’égalité hommes-femmes, et l’actualisation de la stratégie pour les compétences.

Au deuxième trimestre 2020 sont au programme un projet de renforcement de la garantie pour l’emploi et la formation des jeunes ainsi qu’un plan d’action actualisé en matière d’éducation numérique. Puis, au second semestre, devraient voir le jour un sommet sur le travail et une proposition de mise en place d’un régime européen de réassurance chômage.

Enfin, trois projets sont au programme de l’année 2021 : une stratégie renforcée en direction des personnes handicapées ; un plan d’action pour l’économie sociale et solidaire ; des propositions pour améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes.

On le voit, les projets sont nombreux. La Commission européenne ne risque pas de chômer dans les mois qui viennent. Mais la presse n’a retenu qu’un seul chantier de la présentation d’Ursula von der Leyen au Parlement européen : celui du salaire minimum européen. Et ce chantier doit démarrer sans attendre.

Les consultations ont d’ores et déjà commencé avec les partenaires sociaux, la Confédération européenne des syndicats (CES) d’un côté et Business Europe pour le patronat de l’autre. Cette phase doit normalement durer six semaines. A l’issue de ces consultations, la Commission pourrait faire des propositions qui ouvriraient alors la voie de discussions avec les mêmes partenaires sociaux pour une durée également de six semaines. A moins que patronat et syndicats ne s’emparent eux-mêmes du sujet. Ils auront alors neuf mois pour se mettre d’accord.

Le vice-président de la Commission, le Letton Valdis Dombrovskis, a déclaré qu’il ne s’agit « ni de fixer un salaire minimum européen uniforme, ni d’obliger les pays à introduire un salaire minimum » mais de disposer d’un « instrument juridique pour garantir que les travailleurs gagnent suffisamment pour subvenir à leurs besoins ».

La présidente de la Commission a été plus précise puisqu’elle a publiquement envisagé que ce salaire minimum européen puisse être équivalent à 60 % du salaire médian. Une déclaration qui a inquiété la plupart des pays membres de l’Union car, aujourd’hui, très peu d’entre eux ont un salaire minimum de ce niveau.

La France appartient à ce cercle restreint, mais pas l’Espagne (41 % du salaire médian), ni l’Allemagne (46 %), ni les Pays-Bas (47 %), ni l’ex-membre qu’est le Royaume-Uni (54 %). Sans compter que six pays n’ont pas de salaire minimum, tels l’Italie, le Danemark, la Suède ou l’Autriche.

Par ailleurs, cette initiative pourrait faire resurgir de profondes divisions entre les pays avec d’un côté, ceux qui entendent lutter contre le « dumping social » des pays où les salaires sont bas, et de l’autre, ceux qui craignent qu’une augmentation du salaire minimum n’entrave leur compétitivité. Sans compter les pays (essentiellement d’Europe du nord) où les salaires sont fixés par les négociations collectives et aucunement par l’État.

Le salaire minimum ne sert pas la justice sociale

On sait pourtant que le salaire minimum n’est pas un instrument de justice sociale. Florin Aftalion, professeur émérite à l’Essec Business School, a démontré dans son ouvrage[[Florin Aftalion, « Le salaire minimum », Éditions Libréchange, 2017.]] que le salaire minimum réduit l’emploi et plus particulièrement l’emploi des jeunes, surtout ceux qui n’ont pas de formation.

Le professeur Aftalion critique l’application aveugle d’un salaire minimum élevé à tous les secteurs de l’économie, comme c’est le cas en France et comme la Commission européenne voudrait l’imposer. Il faudrait plutôt s’inspirer des pays nordiques avec des salaires minimums négociés par branche. Comme l’écrit l’économiste, un salaire minimum réduit dans le secteur de la restauration « ouvrirait sans doute les portes de l’emploi à de très nombreux jeunes sans formation ».

Les Pays-Bas sont également un bon exemple avec un « smic-jeunes » qui est une véritable avancée sociale puisqu’il a permis, comme le souligne Aftalion, « à des centaines de milliers de jeunes d’apprendre un métier et de commencer une carrière professionnelle ».

Pour sortir de la grave crise que nous connaissons aujourd’hui, nous aurons besoin, dans les mois qui viennent, de tous les entrepreneurs – et plus largement des entreprenants – que compte l’Europe. C’est probablement grâce à leurs capacités d’innover, de prendre des risques, d’organiser aux mieux les ressources et leur rareté, de reconnaître les opportunités de création… que nous nous relèverons.

Et pour cela, ils auront besoin d’un cadre le moins contraignant possible. Sûrement pas d’un salaire minimum et des autres réglementations castratrices en préparation.

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