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Réglementer les rémunérations ne résoudrait rien!

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Pour analyser correctement la crise financière qui nous frappe, afin de concevoir des réglementations pour éviter qu’elle ne se répète, il faut impérativement distinguer les causes de la maladie de ses symptômes. Actuellement, nous courrons un grand risque de les confondre et d’adopter des remèdes inappropriés, voire nocifs.

Très brièvement, les causes du désastre financier actuel sont à chercher dans la politique monétaire laxiste d’Alan Greenspan, poursuivie sans interruption depuis sa nomination en 1987 jusqu’en décembre 2005, mais qui a pris une tournure particulièrement vertigineuse après le 11 septembre 2001. Quatre années de taux d’intérêt réels négatifs, un flot de dollars et un multiplicateur bancaire incompressible soutenu par la fameuse «exubérance irrationnelle» des marchés (le terme même de son instigateur!) ont eu raison de la prudence normale des banquiers, mais ont surtout détruit la «vérité des prix» sur tous les marchés.

Les autres causes de la crise souvent citées sont : le marché des «subprime» américains (issu d’institutions créées par le gouvernement américain pour soutenir le logement social aux Etats-Unis); ainsi que le renoncement à l’épargne des ménages américains : en effet pourquoi épargner si le taux d’intérêt est inférieur à zéro ? Achetons plutôt une maison à crédit ! Merci, Alan Greenspan…

La mondialisation financière est une réalité pas une cause

La mondialisation financière est également souvent remise en cause. En effet, si chaque pays était resté à son point d’autarcie de 1945, par exemple, la propagation de la crise financière n’aurait pas eu lieu. Mais la prospérité d’après-guerre non plus… La mondialisation financière n’est ni une cause de la crise ni un symptôme : elle est une simple réalité. En poursuivant notre métaphore médicale, grâce à la mondialisation nous sommes en relative bonne santé pour affronter l’épidémie actuelle. Sans la mondialisation, nous serions tellement faibles et miséreux que n’importe quel microbe nous aurait emportés depuis longtemps.

Toutes ces hypothèses sont respectables et méritent qu’on s’y attarde. En revanche, il y en a une qui me semble dénuée de toute respectabilité, tant elle sent le souffre de la vindicte populaire : celle qui consiste à déplorer l’avidité des banquiers, des traders et des «golden boys», et de les rendre responsables du désastre.

L’amour de l’argent n’est pas le monopole des banquiers. Au contraire, le désir de s’enrichir est un trait humain universel. Cessons donc de moraliser devant le phénomène des rémunérations pharaoniques des années folles 1995-2008, et essayons plutôt de comprendre pourquoi elles se sont développées.

L’analyse n’est pas très compliquée. Le véritable flot de dollars créé par Alan Greenspan s’est infiltré partout dans le système financier mondial, accroissant les bilans de tous les établissements bancaires (sauf les plus conservateurs et les plus prudents — il y en avait quand même quelques-uns!) et gonflant leurs profits au-delà de toute expérience antérieure. A la recherche d’investissements rentables (mais sûrs), on s’est jeté sur les «subprime» américains (garantis par l’Etat), sur la pierre, sur des Van Gogh, sur des montages financiers fiscalement créatifs, etc. La bulle était lancée, et tant qu’elle gonflait, les profits gonflaient aussi.

L’Etat a cassé les contrats privés !

Or, le système de bonus est un instrument de gestion qui consiste à intéresser les salariés aux résultats de l’entreprise, du cadre modeste au PDG, selon un contrat de travail de droit privé recevant l’aval des actionnaires. Mais la bulle suscitée par Alan Greenspan a créé des profits exagérés et inattendus, et a enrichi une poignée de chefs au-delà de toute espérance (pour eux), simplement par l’application de formules préétablies destinées à des circonstances plus normales. On dit dans les cours d’école : donner c’est donner, reprendre c’est voler. Comment reprendre ce qui a été légitimement donné?

De plus, nous voyons bien qu’il ne sert à rien d’interdire le système de bonus pour éviter une future crise financière quelconque. Ces rémunérations démesurées ne sont qu’un symptôme, et pas la cause première de la crise. En revanche, comme c’est facile de s’en prendre aux bénéficiaires ! Ils profitent, alors que tout le monde trinque ! Qu’ils rendent cette richesse indûment acquise !

Ce point de vue souffre cependant d’au moins deux problèmes. Primo, de quel droit l’Etat peut-il casser un contrat de droit privé parfaitement légal, où il n’y a ni fraude, ni vol, ni autre méfait susceptible d’être puni au titre du droit pénal ? A part soumettre ces bonus à une fiscalité d’exception, je ne vois pas ce que nos autorités pourraient faire sans contrevenir au principe élémentaire de la non-rétroactivité des lois, ce qui impliquerait d’aller à l’encontre des principes de l’Etat de droit.

Secundo, si l’Etat, à travers le pouvoir législatif, changeait la loi et commençait à s’immiscer dans la microgestion du personnel d’entreprise, au point où la méthode de rémunération d’un salarié serait strictement encadrée pour empêcher de tels abus — autant abandonner toute fiction de liberté de contrat sur le marché du travail. Cessons de faire confiance aux agents du secteur privé ! Mettons tout entre les mains des bureaucrates et des politiciens! Mais l’histoire nous enseigne que cette route-là n’est pas sans dangers non plus. Non seulement c’est une route qui mène tout droit au dirigisme et à la planification, mais elle ne résout en rien notre problème actuel.

Que peuvent faire les pouvoirs publics aujourd’hui? Ne pas encourager les banquiers à dépasser les règles élémentaires de la prudence! En résumé : la seule chose dont nous avons besoin en ce moment est un contrôle strict sur la création monétaire publique.

Victoria Curzon Price

Adminsitrateur de l’IREF

Victoria Curzon Price est professeur honoraire à l’Université de Genève et présidente du conseil d’administration de l’Institut Constant de Rebecque. Cet article a été publié dans Le Temps.

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