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Les juges français pèsent sur le marché du travail

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En un an les conflits du travail portés devant les juges ont augmenté de 13 %. 98 % des recours sont engagés par les salariés, et deux tiers tournent à leur avantage. Les sentences peuvent amener la mort des entreprises. Les juges ont-ils mission de peser à ce point sur le marché du travail ? Question posée par Nicolas Lecaussin, qui donne aussi la réponse au vu de ce qui se passe au Danemark .

D’après les statistiques du Ministère de la Justice, les contentieux entre salariés et employeurs ont battu des records en 2009 : 228.901 litiges ont été portés devant les juges. Une hausse de 13.3 % en un an seulement (presque 20 % depuis 10 ans). Plus de 98 % des recours sont engagés par les salariés et, en 2008, 65 % se sont soldés en leur faveur.

A l’origine de cette inflation de conflits, les 10 000 articles du Code du travail et ses centaines de pages. Il va de soi que cette réglementation très stricte est l’une des causes du chômage élevé en France. Mais on peut se demander à cette occasion si le monde du travail doit être réglementé par des juges. Doivent-ils se substituer aux chefs d’entreprises dans les licenciements individuels et collectifs ? Savent-ils mieux que les dirigeants ce qui est bon pour l’entreprise ?

Quand la justice donne le coup de grâce aux entreprises

Les statistiques mentionnées plus haut démontrent clairement que les salariés abusent de la voie juridique ; ils y voient le moyen de demander toujours plus d’argent et de faire trainer les choses. Mais ils finissent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Dans les cas de licenciement collectif, cela peut aboutir à la fermeture de l’entreprise. En août 2009, le tribunal de grande instance de Nanterre a suspendu le plan de restructuration de l’usine de pneumatiques Goodyear d’Amiens-Nord, prévoyant 820 suppressions d’emplois, après un recours déposé par le Comité central d’entreprise (CCE) et la CGT.

Le tribunal suspend « l’information/consultation du plan de restructuration présenté à compter du 26 mai 2009 jusqu’à ce qu’il ait été satisfait à cette information », selon le texte du jugement dont l’AFP a eu copie. Il constate « que les informations données au comité central d’entreprise sont incomplètes sur la restructuration du site d’Amiens-Nord en ce que notamment le plan présenté n’est pas complet sur le devenir de la production des pneumatiques agricoles ».

Le plan social annoncé le 26 mai par la direction s’était révélé deux fois supérieur à une précédente restructuration touchant 402 emplois, mais que le tribunal de Nanterre avait interdit en novembre 2008 pour non respect des procédures légales. La Cour d’Appel de Versailles avait annulé l’ordonnance rendue à Nanterre, mais la direction avait annoncé qu’un plan plus important était en préparation, en raison de la crise économique.

La restructuration proposée par Goodyear était inévitable pour sauver l’implantation en France. La décision du tribunal de Nanterre a été prise sans connaissance du fonctionnement d’une entreprise qui a besoin de réorganiser ses effectifs pour faire redémarrer les investissements.

Autre exemple révélateur. En mai 2009, la société Olympia, fabricant français de chaussettes, a été condamnée par la Cour d’Appel de Reims à verser 2,5 millions d’euros à quarante-sept salariés licenciés, pour ne pas leur avoir proposé un reclassement en Roumanie. La direction s’est refusée, « en plein accord avec le comité d’entreprise », à proposer « des reclassements indignes dans son usine de Roumanie au salaire de 110 euros par mois ». L’arrêt de la Cour d’Appel confirme une décision en première instance du tribunal des prud’hommes qui a aussi condamné l’entreprise à verser 32 mois de salaires aux employés : « Il y a une obligation de reclassement dans le groupe en France et à l’étranger, quelles que soient les conditions. Aux salariés d’accepter ou pas ». Cet arrêt n’a fait que signer la mort de l’entreprise.

Les secrets du plein emploi et du bonheur au travail

Mais que se passerait-il s’il n’y avait pas de réglementation ni de juges pour s’immiscer dans le monde du travail ? Le Danemark nous donne la réponse.

Le marché du travail danois est aujourd’hui parmi les plus flexibles des pays de l’OCDE. La liberté de licencier est quasi totale : l’employeur peut licencier comme bon lui semble et n’a aucune indemnité à payer pour les salariés de moins de 12 ans d’ancienneté. Pour les salariés de 12 à 15 ans d’ancienneté, l’indemnité est d’un mois de salaire, de 15 à 18 ans d’ancienneté de deux mois, et de 3 mois au-delà. Le préavis peut varier en fonction de conventions collectives de quelques jours à plusieurs mois. Le plus souvent, le préavis est de 2 à 3 semaines. Il n’y a pas de salaire minimum, ni de limite du nombre d’heures de travail par semaine comme le montre le Rapport Doing Business 2011 de la Banque Mondiale qui précise aussi que le Danemark est le pays où c’est le plus facile de créer son entreprise.

Aussi, les employeurs danois n’hésitent-ils pas à embaucher, puisqu’ils savent qu’ils pourront débaucher lorsque cela sera nécessaire, sans procédure administrative ni indemnités trop lourdes.

Malgré la crise, le taux de chômage était officiellement de 4,1% au mois de mai 2010 (6,8% selon Eurostat), les perspectives de manque de main-d’oeuvre qualifiée étant par ailleurs confirmées à moyen terme.

Le taux de chômage des jeunes reste moins élevé au Danemark qu’ailleurs. Un récent rapport de l’OCDE soulignait en effet que le taux de chômage des 15-24 ans atteignait 11,4% au 3ème trimestre 2009, contre 17,6% en moyenne au sein de l’OCDE et plus de 24% en France.

Paradoxalement, cette « précarité » comme dit en France, ce manque de « sécurité » sur le marché de l’emploi, ne rend pas les Danois dépressifs. Dans le dernier sondage sur le pessimisme dans le monde, les Danois se situent parmi les peuples les plus optimistes économiquement et les plus heureux au travail. L’Etat, les réglementations et les juges ne sont pas là pour les aider…

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5 commentaires

Anonyme 26 janvier 2011 - 10:29

Suggestions de réforme
Bonjour à tous,

Je me permets de revenir sur l’excellent article de M. Lecaussin, souhaitant juste y apporter quelques précisions.

Lorsqu’en 1986 la droite a libéralisé le marché du travail, elle a supprimé le contrôle administratif des licenciements, affirmant aux patrons qu’ils retrouveraient la liberté de gestion qui leur avait été confisquée par l’administration.

Si les libéraux auto-proclamés de ce pays avaient eu plus de jugeotte, ils se seraient demandés pourquoi un certain nombre de personnalités de gauche approuvait la réforme. Car en modifiant le droit existant, la droite n’a pas supprimé le contrôle des licenciements (ce qu’elle aurait pu faire, en reconnaissant la liberté de licencier des employeurs) ; elle s’est bornée à substituer au contrôle préventif traditionnel (celui des inspecteurs du travail) un contrôle curatif (celui des juges) en reconnaissant à tout salarié le droit de contester en justice la licéité de son licenciement.

Si un tel système paraît logique – moins bureaucratique – il est éminemment dangereux en pratique lorsqu’on sait à quel point un terme de la vie courante peut, en droit, prendre une signification particulière…

Ainsi, lorsqu’en 1989 la gauche a produit ce qui allait devenir notre actuel article L. 1232-1 du code du travail (en vertu duquel : « tout licenciement pour motif personnel … est justifié par une cause réelle et sérieuse »), les juges de la Cour de cassation – menés par l’inénarrable Philippe Waquet – s’en sont donné à cœur joie, et ont livré une définition extrêmement stricte de la notion, bien plus stricte que celle qu’en faisaient jusque là les inspecteurs du travail (qui, statistiquement, validaient la plupart des licenciements, ne refusant que les abus manifestes).

Conséquence : moins de licenciements approuvés, et plus de rigidité sur le marché du travail. Mais ca n’est là que la face visible de l’iceberg.

Sur le fondement lointain du licenciement, la Cour de cassation n’a pas hésité à compliquer la vie des sociétés, en multipliant les interdits.

C’est ainsi qu’il a été jugé qu’on ne peut licencier un salarié pour une cause tirée de sa vie privée, ce qui a priori semble normal, mais peut choquer lorsque le motif prétendument tiré de la vie privée était, en l’occurrence… un vol commis par le salarié (la société de gardiennage qui l’employait a donc commis une faute en se fondant sur un élément qu’on pourrait croire être à la fois réel, sérieux et… de notoriété publique pour le licencier : Soc. 20 novembre 1991). Ou encore, un cadre qui envoyait à la concurrence des informations vitales pour l’entreprise n’a pas pu être licencié, l’employeur s’étant fondé sur des mails qu’avait envoyé son salarié pour justifier sa faute : les juges y ont vu une pratique « intolérable », et ont balayé l’argument tiré de la survie de l’entreprise ou de la nécessité de lutter contre la concurrence économique (Soc. 2 octobre 2001). On voit quels en sont les effets : les entreprises françaises sont incapables de résister à la cyber criminalité et à l’espionnage industriel.

Ce que je veux dire, c’est que si le problème existe, il est bien plus important que ce qu’on pourrait croire de prime abord, puisqu’il diffuse ses interdictions à tous les niveaux de la « vie » de l’entreprise.

Pourtant, il est aisé de remédier à cette situation : en effet, il suffirait à un gouvernement courageux de supprimer une fois pour toutes la référence à la « cause réelle et sérieuse » dans les licenciements.

Naturellement, cela ne veut pas dire qu’il faille laisser les employeurs faire n’importe quoi et valider tous les licenciements, dont beaucoup sont tout simplement inadmissibles si ce n’est même, injustifiés d’un point de vue économique. Combien de VRP de valeur ont-ils été licenciés par leur employeur, au motif qu’ils gagnaient plus que lui, par le truchement de leur intéressement ? Sans parler des licenciements fondés sur des motifs complètement illicites (comme le licenciement de la salariée qui a refusé de coucher avec son employeur…).

Mais si les abus existent, nul besoin de réglementation complexe : il suffit d’appliquer le droit commun, c’est-à-dire, reconnaître – enfin – la liberté de licencier aux employeurs, et sanctionner les seuls abus de droit (qui requièrent de démontrer la volonté de nuire du titulaire de ce droit).

Les situations réellement abusives seraient ainsi sanctionnées, et le marché du travail recouvrirait la fluidité dont il a tant besoin.

Pas la peine, donc, de proposer des contrats prétendument attractifs pour les entreprises (du type CPE, CNE et consorts…) ni d’aller singer les pays scandinaves ou anglo-saxons : la solution est chez nous depuis toujours. Il suffit d’avoir le courage de réformer, une fois pour toutes, ce pays, en supprimant les réglementations inaptes léguées par trente ans de gestion socialiste du pays.

Philippe Jaunet

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Anonyme 18 février 2011 - 11:30

EXEMPLE D’UNE VIE DE TOUS LES JOURS
Je peux vous dire qu’il est normal que les salariés de ce pays puissent avoir un recours judiciaire après l’EPREUVE morale,financière et psychologique, que constitue la perte de son emploi.

Je vis actuellement au travers d’une personne qui m’est proche, salariée d’un grand groupe d’ingénieurie du BTP, un véritable cauchemard.

Le début de l’histoire a débuté le 26 avril 2010, sans aucun signe précurseur.

Comptable depuis 24 ans dans cette société,depuis fin aôut, elle est harcelée par sa direction afin de devoir accepter son licenciement sans la moindre ébauche de motif.

Tout se passe oralement et sans écrits, »On » (je dis bien ON) lui demande d’accepter une transaction dite à l’amiable sans que la moindre explication lui soit fournie.

Le projet de transaction ne prévoit pas de compensation, pas de préavis, et pas le moindre préjudice d’ordre moral.

Ils lui on a dit verbalement le 26 aout 2010, qu’à partir du 1er janvier, quoi qu’il arrive ele ne ferait plus partie du perssonnel.

Pour rendre les choses encore moins supportables, ILS n’hésitent pas à rendre le climat intolérable.

Grossiertés, convoquations à un point financier dans le bureau de la direction à des heures qui dépassent l’entendement, délais de remise des écritures intenables, pressions et menaces téléphoniques venant de plusieurs interlocuteurs différents de la direction des ressources humaines ect…

Cette dame de 51 ans, est basée dans la région lyonnaises

Depuis le début de l’année,nouvelles directives, elle a obligation de temps partiels dans d’autres sociétés du groupe, 1 jour par quinzaine,(région centre), puis 1 jour par quinzaine dans une société du groupe(région parisienne) et 1 autre jour dans une autre société géographiquement opposée à la précedente (toujours en région parisienne). J’en passe et des meilleures.

Sachant que la salariée concernée, a eté confronté, il y a 5 ans, au dur combat contre un cancer, et qu’elle vit seule avec une fille de 10 ans.

Pouvez-vous insinuer, qu’un conseil des prud’hommes devrait être plus compréhensif envers une société capable d’un tel comportement?

En conclusion, certaines entreprises de notre cher pays, sont devenues des machines à broyer leurs salariés sans occun etat d’âme. Ni honte, ni moralité.Je peux vous affirmer que ce genre de situation mène tout droit au suicide.

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Anonyme 8 mai 2011 - 5:00

Absence de réponse embarrasante
Bonjour, avez-vous obtenu des commentaires à votre témoignage ? Je n’en vois pas et m’interroge… Pourquoi le débat s’est-il ainsi interrompu ? Quel curieux ostracisme vous condamne ainsi ?

Virgile HUDRY

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Anonyme 11 mai 2011 - 7:48

Embarassante ???
Pas si embarrassante que cela… d’une part, il n’y a pas de censure sur le site ; d’autre part, s’il était pourvu d’un moyen de « s’abonner » aux nouveaux commentaires postés, il y aurait plus de réactions (tout le monde ne passe pas ses journées derrière internet pour s’assurer qu’on a, ou non, écrit…).

Pour répondre aux posts précédents : demander une réforme du droit du travail, dans un assouplissement des procédures, ne signifie pas – loin de là – que les employeurs doivent avoir tous les droits. Le problème soulevé par l’Iref est d’un autre ordre.

Pardon de donner un exemple qui n’a rien à voir pour mieux me faire comprendre, mais un licenciement c’est un peu comme un divorce ; ca se passe toujours mal, c’est une déchirure, mais il est nécessaire d’avoir des régimes juridiques différents, parce qu’il y a des divorces qui se passent très mal, et d’autres, un peu moins, de sorte qu’on peut les régler à l’amiable (ex du divorce par consentement mutuel).

Dans le cas évoqué, il y a manifestement abus de la part des employeurs, parce qu’il y a harcèlement. Seulement, ce qui m’intéresse – ou plutôt, ce qui doit intéresser les juges – c’est de savoir si c’est là le produit d’une politique délibérée de l’entreprise ou, comme c’est bien souvent le cas, le comportement tyrannique d’un petit chef (directeur d’une agence de province, etc…) qui essaie de se faire bien voir de sa propre direction, mais ne représente en rien la société pour laquelle il travaille. Des c***, il y en a malheureusement partout…

Philippe Jaunet

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Anonyme 17 février 2011 - 6:20

chômage et jugements
effectivement la loi française est souvent ahurissante. Ex : si Olympia avait fait une proposition de reclassement à l’Est, les syndicats auraient criéé au scandale. Ne l’ayant pas fait, les syndicats se sont délectés.

au sujet du chômage en France, là le mal vient de la mauvaise gestion de ce poste par les politiques français. Pourtant je connais des solutions qui supprimeront le chômage en France

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