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« France Stratégie » parle des métiers du futur, mais sans tenir compte des changements technologiques

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« France Stratégie », en partenariat avec la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), s’interroge- sur le futur emploi en France en 2022. Cet exercice de prospective complexe repose sur des hypothèses sur lesquelles il est intéressant de revenir. Car ce rapport soulève plus d’interrogations qu’il n’éclaire le débat…

Trois scénarios ont été retenus

Il faut d’abord noter que la prospective est l’un des exercices les plus difficiles de la science économique, et le document en recense bien toutes les limites… car il faut dire que les économistes sont souvent raillés pour leurs fausses prédictions…

Ensuite, ajoutons que ce rapport vient corriger les projections d’une étude conjointe de la DARES et du Centre d’analyse stratégique, publiée en 2012, – dont « les projections macroéconomiques sur lesquelles reposait cet exercice ne prenaient pas en compte le retournement conjoncturel observé en 2011. »[[DARES, France Stratégie, Les Métiers en 2022, 2015. Disponible sur : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_rapport_metiers_en_2022_27042015_final.pdf.]] Cela montre qu’en 4 ans, la situation macroéconomique a tellement changé que les résultats précédents en devenaient rapidement obsolètes !

Comme pour toute étude prospective, le rapport retient plusieurs scénarios : l’un pessimiste, l’autre optimiste, tous deux s’articulant autour d’un scénario central de productivité et de croissance modérées. Ainsi, « France Stratégie » estime qu’entre 730 000 et 830 000 emplois seront à pourvoir chaque année sur la période 2012 – 2022.

Nombre de postes à pourvoir pour la période 2012 - 2022 dans les trois scénarios

Nombre de postes à pourvoir pour la période 2012 – 2022 dans les trois scénarios

Ce sont surtout les départs à la retraite (environ 600 000 par an) qui alimenteraient ces nombreuses ouvertures de postes. Lorsque l’on compare ces créations et ces ouvertures de postes à la croissance démographique, le scénario de crise maintiendrait le chômage au niveau actuel, autour de 10 % de la population active, tandis que le scénario central le ferait baisser de 8 % et le scénario-cible à moins de 7 % d’ici à 2022. C’est une bouffée d’optimisme en cette période de morosité !

Est-ce une sous-estimation de la variable technologique ?

Il n’empêche, plusieurs problèmes se posent au sujet de la fiabilité de ces projections. D’abord, cette prospective est faite à « réforme constante ». Pour des raisons de simplicité que l’on comprend bien, les réformes structurelles, dont la France a besoin afin de libérer vraiment les énergies et les talents, ne sont prises en compte dans aucun de ces scénarios.

Plus problématique encore, « France Stratégie » et la DARES semblent avoir tranché une question à laquelle les économistes ne savent pas répondre : quels seront les métiers de demain ? Toute la question technologique apparaît comme secondaire dans ce rapport, alors qu’elle devrait prendre une place prépondérante dans ce type d’analyse. « L’exercice de projection des métiers en 2022 n’aborde pas la question de l’évolution du contenu des métiers. Il offre un cadre d’analyse permettant d’estimer les métiers qui progressent et ceux qui perdent de la vitesse, l’évolution de la structure des qualifications, la place des jeunes et des seniors dans l’emploi et les métiers de demain, autant d’éléments destinés à nourrir les travaux sur l’évolution des compétences et la « révolution des métiers » (Ernst & Young, 2014). »[[DARES, France Stratégie, Ibid.]]

En réalité, le débat principal de la science économique porte actuellement sur le dilemme suivant : la vitesse de destruction et de création de l’emploi par la révolution technologique. La destruction est-elle plus rapide que la création ? Et comment adapter notre marché du travail à ces changements profonds ? Selon certains auteurs, la moitié des emplois que l’on pratique aujourd’hui seraient amenés à disparaitre[[Deux auteurs de l’Université de Oxford soutiennent cette analyse : http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf.]]. En revanche, personne n’est capable de prévoir les nouveaux métiers qui apparaîtront sur cette même période. Pour d’autres, la substitution des travailleurs par les machines n’est pas pour demain, qui limite ainsi que l’on se concentre uniquement sur le marché du travail[[Voir notamment Autor D., Polanyi’ paradox and the shape of employment growth, 2014.]].

Or, pour « France Stratégie » : « Les transformations technologiques, voire organisationnelles (développement de la vente à distance par exemple), influent donc fortement sur les contenus des métiers, mais ne détruisent pas nécessairement des emplois. »[[Ibid.]] C’est en partie vrai ! Mais ne pas analyser le contenu des métiers peut avoir des conséquences importantes sur l’emploi de demain, notamment la structure des revenus, qui peut être profondément modifiée sous l’influence des changements technologiques.

Pour l’économiste Tyler Cowen[[Cowen T., Average is over (Dutton Editions 2013).]], cette spécialisation de l’emploi est fort probable. Avec d’un côté des emplois hautement qualifiés, où des personnes travailleraient en complémentarité avec les machines, et de l’autre des emplois peu qualifiés, à faibles revenus. En fait, on peut déjà voir pointer cette spécialisation dans le rapport de « France Stratégie », qui indique que de nombreux emplois dans l’aide à domicile ou dans l’entretien seront à pourvoir.

Faut-il se réjouir de cette France des bas salaires ? Rien n’est moins sûr… Si la France veut créer de bons métiers avec de bons salaires, elle ne doit plus être en constant rattrapage technologique comme c’est le cas aujourd’hui, mais se trouver à la « frontière de la technologie », pour reprendre l’expression de l’économiste Philippe Aghion, spécialiste de ces questions.

De même, la structure du marché du travail, avec une disparition progressive de l’emploi salarié semble également être une possibilité[[Voir le dossier de The Economist : « Workers on tap », January 3rd – 9th 2015.]]. Ainsi, la technologie modifierait non seulement en profondeur le contenu de l’emploi, comme l’analyse « France Stratégie », mais tout autant la structure du marché du travail, qui est un point peu mis en avant par l’étude.

Dans tous les cas de figure, le changement technologique pourrait aider à l’abandon des projections de « France Stratégie » sur les tendances mises en avant dans son rapport. De plus, réfléchir à ce que seraient les métiers de demain n’est que la première étape d’un long processus, qui implique que nous nous posions les bonnes questions face à ce changement technologique inévitable. Tout d’abord, dans quelle mesure va-t-il transformer l’emploi ? Avons-nous les structures institutionnelles adaptées pour accueillir ces nouveaux métiers ? Comment s’organiseraient ainsi la formation, la mobilité sociale, l’accès à des emplois hautement qualifiés ? Toutes ces questions sont restées sans réponse, alors qu’elles sont les préoccupations indubitables pour toute étude prospective portant sur le futur du marché du travail.

Nombre de postes à pourvoir pour la période 2012 - 2022 dans les trois scénarios
Nombre de postes à pourvoir pour la période 2012 - 2022 dans les trois scénarios

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3 commentaires

Lexxis 4 mai 2015 - 12:11

UN AUTRE MONDE!
Etant donné le fiasco administratif complet observé pour l'accueil et le traitement social des auto-entrepreneurs, vu aussi la faillite consternante et durable du RSI qui montre l'incapacité profonde de nos services publics (ou assurant une mission de service public) à se réformer même dans un délai plus que raisonnable, on comprend très bien pourquoi France-Stratégie peine à envisager un développement du travail indépendant.

Qu'on le veuille ou pas, le statut d'indépendant demeure toujours une source d'interrogation et un abime de perplexité pour beaucoup de gens du secteur public pour qui tout ce qui relève de l'entreprise correspond depuis des temps immémoriaux à une langue demeurée parfaitement étrangère.

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pierreg 4 mai 2015 - 1:47

prospective..
J'aime bien ce sexercices de prospective. les futurs emplois sont généralement des emplois d eservice et notamment d'iade à domicile etc. Probleme ce semplois ne créent aucune richesse et necessitent que quelque part on cree de la richesse pour pouvoir employer ces personnes.
Je ris de splans alzheimer et consorts car dans une France qui s'appauvrit qui aura encore les moyens de se payer une aide à domicile?
Ma grand mère veuve d'un professeur agrégé a vecu jusqu'à sa mort en bourgeoise avec la pensiond e reversion de mon grand pere, j'ai du aider sa fille (ma tante) professeur de lycee qui avec une retraite complete ne pouvait pas payer une maison de retraite pour alzheimer!
autrement dit en appauvrissant la classe moyenne superieure on limite dansle moyen terme les possibilites de création d epostes d'aide à la personne!

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Astérix 4 mai 2015 - 6:48

Les hauts comités à la réflexion intensive !
Je reprends votre texte:

"France Stratégie", en partenariat avec la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), s’interroge- sur le futur emploi en France en 2022."

L'exemple type du mal français..! il serait intéressant de connaître le nombre de personnes dans ces structures qui ont réfléchi à ce sujet…??! et pour arriver à quelle conclusion ???

Point n'est besoin d'être grand clerc pour comprendre que le chômage ne peut qu'exploser.

Tant que nos gouvernants ne prendront aucune mesure pour ramener les prélèvements de 58 à 30 % du P.I.B, il n'y a rien à attendre à part la faillite du Pays. Les activités administratives qui ne font pas partie des fonctions régaliennes de l'état doivent être transférées et gérées par le secteur privé.

Tout le reste n'est que littérature et perte de temps.

Pour rappel, la Corée du Sud est à 27 %…! le Pays fonctionne et se développe.

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