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Le scandale du Livret A

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L’épargnant français aime le livret A, parce qu’il est un compte liquide (maigrement) rémunéré dont les intérêts sont exonérés d’impôts. Mais l’Etat s’approprie et détourne cette épargne vers la Caisse des Dépôts et Consignations. Cette pratique est scandaleuse aux yeux du Professeur Jean Yves Naudet , dans un article paru dans la Nouvelle Lettre du 18 décembre.

Le livret A, dit-on, est la forme d’épargne préférée des Français qui en possèdent un, même si les sommes déposées sont parfois modiques – modique aussi la rémunération. Le taux est ridiculement faible, mais il est vrai que les intérêts sont exonérés d’impôts et la liquidité est totale.

Il y a pourtant l’envers du décor, et le livret n’est pas une bonne affaire pour les épargnants, et encore moins pour l’économie nationale. Car cette épargne est administrée, les règles du jeu sont fixées par l’Etat et l’essentiel des dépôts va au « bras financier » de l’Etat, la Caisse des dépôts. C’est ce qui interdit de mieux rémunérer l’épargnant, car l’emploi de ces fonds n’est pas guidé par les marchés financiers, mais par les priorités définies par l’Etat, comme le logement dit social, et autres emplois à fonds perdus. Il est temps d’en finir avec les privilèges des organismes publics, de banaliser totalement le livret A et de libérer l’épargne française.

L’administration de l’épargne : une solide tradition française

Le livret A est une des survivances de l’épargne administrée ou réglementée, vestige du glorieux temps où la France, seule avec les pays communistes, ignorait l’existence et a fortiori les règles du libre marché de l’épargne. A l’origine, le livret A était un monopole de quelques établissements publics ou parapublics, Banque Postale (La Poste, tout simplement), Caisse d’épargne et Crédit mutuel (qui délivraient un livret ayant les mêmes caractéristiques que le livret A).

L’arbitraire était partout : d’abord dans le choix des organismes pouvant délivrer le livret A. Ensuite dans la fixation du taux d’intérêt, qui dans l’esprit des gouvernants n’a jamais été un prix, mais un décret. L’introduction de bases de calcul qui se voulaient « objectives » à travers des modèles mathématiques n’y a rien changé. Quand le résultat n’arrangeait pas le pouvoir, on fixait un taux différent, encore plus arbitraire, souvent inférieur à l’inflation, ce qui donnait un taux réel négatif. Enfin, les intérêts du livret A étaient exonérés d’impôt, un autre privilège auquel n’accédaient pas les autres formes d’épargne.

Les banques n’appréciaient guère cette situation ; Bruxelles non plus, et le pouvoir a dû s’exécuter de mauvaise grâce et renoncer en apparence au privilège des institutions publiques. Désormais, toutes les banques peuvent délivrer les livrets avec exonération fiscale des intérêts.

C’en était sans doute trop pour l’Etat, et il a tout fait pour limiter au minimum cette ouverture à la concurrence. D’une part, il n’y a aucune liberté des taux d’intérêt : voilà une exception française surprenante dans un marché financier mondialisé, dans une Europe au marché unique. D’autre part, les avantages fiscaux demeurent réservés aux livrets et n’ont pas été étendus aux autres formes d’épargne. Enfin et surtout, voici maintenant une réglementation qui sauve l’essentiel pour l’Etat : les dépôts doivent être drainés vers la Caisse des Dépôts et Consignations.

65% des sommes happés par la Caisse des Dépôts

En effet, il y a un autre scandale du livret A, comme du Livret de Développement Durable (nouvelle appellation politiquement correcte de l’ancien CODEVI). Les sommes déposées doivent, dans leur majorité, être versées à la Caisse des dépôts. Le plus gros établissement financier français (public, cela va de soi). C’est d’ailleurs à son initiative qu’a été créé le fameux FSI, Fonds stratégique d’investissement), vrai « fonds souverain » public, digne de ceux de la Chine ou des Etats rentiers du pétrole. Ce fonds d’investissement, merveilleusement encadré (51% à la Caisse des Dépôts, 49% à l’Etat – nous sommes réellement en plein ultralibéralisme) permet à nos technocrates de jouer au Monopoly industriel avec l’argent des Français, en achetant ou vendant des titres d’entreprises dites stratégiques, soit disant pour stabiliser le capital alors que ces jeux arbitraires, suivant l’humeur du prince, ne font que perturber la stabilité de ce même capital.

Les organismes qui délivrent le livret A doivent reverser 65% du montant des dépôts à la Caisse des dépôts : un vrai racket. Ces sommes ne seront pas disponibles sur le marché des capitaux, elles servent notamment à financer « le logement social » ; chacun sait en effet que seul le public peut œuvrer pour le bien commun comme le confirme la situation de l’immobilier en France. Toujours est-il que c’est à l’épargnant que l’on impose le sacrifice d’un placement à un taux dérisoire. Si l’on veut construire des HLM, qu’on paye cette construction à son vrai coût, y compris le coût du financement. Mais le vol de l’épargnant est dans la tradition française : Guignol rossant le gendarme, c’est bien vu.

La « centralisation des dépôts » : une extraordinaire usine à gaz

Depuis deux ans, les dépôts sur les livrets progressent moins vite, voire reculent. Donc c’est un manque à gagner pour la Caisse si on maintient un pourcentage de « centralisation » de 65%. Qu’à cela ne tienne : l’Etat va changer les règles du jeu, et c’est l’objet de deux décrets actuellement discutés, qui sortiront en janvier.

Dans le nouveau système on garantit en toute hypothèse que la CDC recevra au moins des sommes en hausse de 2%, quelle que soit l’évolution des dépôts. Mais si les dépôts reculent ? Tant pis, il faudra centraliser chaque année au moins 2% de plus à la Caisse des dépôts. Ce qui fait que, plus les dépôts régressent, plus la part que les banques devront reverser à la CDC augmentera : le texte prévoit qu’on aura un taux de centralisation de 70% au plus tard en 2018. Car la loi dite de modernisation économique (LME) prévoit que le plancher de centralisation doit correspondre à 125% des encours de prêts aux HLM. Le texte prévoit même un ajustement mensuel du niveau de centralisation. Mais au delà d’une croissance de 3%, la collecte restera dans les banques ; bref : une usine à gaz que même les experts ont du mal à décoder. Passons sur le fait que les nouveaux distributeurs du Livret A, qui n’en étaient qu’à 20% de centralisation, devront avoir rapidement rattrapé les niveaux fixés.

Mais le scandale va plus loin. De façon tout à fait arbitraire l’Etat avait fixé entre 0,6% et 0,9% la commission des banques en cas de centralisation à la CDC : beaucoup trop généreux, affirment nos technocrates. Le second projet de décret prévoit donc de fixer un nouveau taux qui, suivant les cas, se situera entre 0,33% et 0,54%. Ceux qui conservent plus de dépôts à leur bilan seront rémunérés aux taux les plus bas.

Au moment où on demande d’assurer la liquidité des banques, et de stabiliser leurs ressources, le gouvernement entend surtout assurer la liquidité de la CDC. Or même le rapport Camdessus, peu suspect d’ultralibéralisme, fixait à 0,4% minimum le niveau à partir duquel la distribution est rentable. Ceux qui seront à 0,33% ne seront sûrement plus rentables. La CDC n’a que faire de la rentabilité, puisqu’on lui fournit sur un plateau l’argent que les banques ont dû lever elles-mêmes.

Il faut libéraliser l’épargne

Les banques se défendent contre cette situation absurde en réclamant un taux de centralisation de 50%. Elles ont tort ; elles devraient laisser l’Etat aller jusqu’à 100% A ce niveau plus aucun banquier n’aurait l’envie d’offrir des livrets, ce qui achèverait de tuer « l’épargne populaire ». Pourquoi dire que les banques ont tort ? Le seul taux de centralisation acceptable, c’est le taux zéro. Avec l’Etat, dès qu’on met le doigt dans l’engrenage, on est perdu, car l’Etat est toujours plus gourmand. De même, le seul taux de rémunération acceptable, c’est le taux libre déterminé par le marché et fixé contractuellement. Quant à l’exonération fiscale, elle devrait concerner toute l’épargne, qui finance en fait l’avenir, au lieu d’être fixée selon l’humeur du prince.

En réalité, il n’y a à cette affaire qu’une solution : libéraliser totalement l’épargne, livret A en tête : laisser les banques fixer les conditions et les taux avec leurs clients, laisser la concurrence jouer, et laisser les banques apporter ces capitaux sur les marchés en fonction des besoins de l’économie et non des besoins dictés par quelque technocrate.

Et le logement social ? D’abord le privé est parfaitement capable de construire des logements à bas prix, et la crise du logement serait largement résolue si on cessait de geler des terrains par des politiques malthusiennes. Certes, il faudrait payer le vrai prix. Mais le prix serait moindre avec une vraie concurrence et, de toutes façons, on ne voit pas au nom de quoi on volerait l’épargnant pour en faire bénéficier le logement social. Même en matière sociale, un faux prix donne toujours de mauvais conseils.

Ces usines à gaz sont des combats d’arrière garde. L’ouverture des frontières, la pression européenne, le jeu de la concurrence balayeront tout cela.

Le vrai drame, la vraie anomalie, le vrai scandale, c’est l’existence même de l’archaïque Caisse des Dépôts, symbole d’un Etat tout puissant qui joue avec l’argent des autres, sans limite, sans règle du jeu. La nuit du 4 août avait, paraît-il, aboli les privilèges du clergé et de la noblesse. Très vite ces privilèges se sont reconstitués au bénéfice des princes et des technocrates qui nous gouvernent, et au détriment du bon peuple dont l’argent est confisqué avant d’être gaspillé.

Jean-Yves Naudet

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6 commentaires

Anonyme 18 décembre 2010 - 12:46

L’arroseur arrosé
Vous parlez de scandale alors même que nous sortons péniblement d’une catastrophe boursière majeure qui a massivement impacté les plus faibles d’entre nous . Vous donnez des leçons d’économie et de bonne gouvernance alors que les banques d’affaires ont révèlées une rare incompétence avec nombre d’entre elles sauvées par ces états par vous tant décriés . Je ne suis pas un dangereux « coco » acquis aux dogmes de l’économie centralisée mais il faut avoir une bien haute idée de soi même pour penser aujourd’hui que la forme de libéralisme que vous défendez est la seule réponse au besoin de developpement de l’humanité

Hervé Steen

herv.steen@gmail.com

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Anonyme 18 décembre 2010 - 3:47

Livret A
Ceci démontre, pour ceux qui en doutait, que la France est un pays communiste et qui, en outre, a comme devise « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » et ce dans tous les domaines. Ce pays est devenu fou du fait de la totale incompétence de nos hommes politiques ou en raison de l’emprise de plus en plus importante d’une « Nomenklatura » totalitaire qui profite exclusivement aux hommes politiques, syndicats, fonctionnaires et médias dont on ne peut que constater quotidiennement les méfaits et outrages.

JPL

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Anonyme 19 décembre 2010 - 7:00

Commentaire anonyme sans
Commentaire anonyme sans valeur.

Roger Tardy

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Anonyme 18 décembre 2010 - 6:53

L’auteur dit, parlant du
L’auteur dit, parlant du livret A, : « c’est à l’épargnant que l’on impose le sacrifice d’un placement à un taux dérisoire ». Mais personne n’impose rien à personne. L’épargnant est libre de mettre son épargne sur un livret A ou un autre placement. S’il la met sur un livret A c’est que les banques tant glorifiées par l’auteur ne proposent pas mieux et plutôt moins.

Certains sont nés pour critiquer et ne rien proposer. Que Monsieur Naudet nous dise quel produit d’épargne liquide comme le livret A est plus rémunérateur. En divulgant cette information, si elle existe, il contribuera à diminuer les placements sur le livret A ce qui est son souhait.

Quant aux banques, elles ont tout fait pour avoir le livret A, si cela ne s’avère pas rentable, elles ne sont pas obligées de le commercialiser.

Monsieur Naudet est peut-être un adepte de la bourse qui n’a pas rapporté un euro en 10 ans si on se réfère aux CAC40. La bourse n’est plus un instrument de financement à long terme mais un instrument de spéculation à court terme. La majorité des ordres de bourse concerne des placements qui ne dépassent pas une heure en durée.

Cordialement

Roger TARDY

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Anonyme 18 décembre 2010 - 7:16

Scandale du Livret A
La partie décrite par le Professeur NAUDET est la partie immergée de l’iceberg.

La CDC est responsable de la hausse des prix de la construction car au lieu de construire des logements dit sociaux elle fait construire des logements spéculatifs (déduction d’impôt) sans obliger la base de la construction : traiter avec des entreprises compétentes, assurées pour leur qualification OPQCB et étant à jour et fiscalement et socialement

Les HLM où se produit l’inceste entre élus et administration sont les tueurs du bâtiments. En dehors des terrains offerts, des avantages de taxes, des garantis de leurs emprunts par les villes (la CDC fait ce que n’ose pas une banque privée) avec toutes les sangsues autorisées le prix de l’opération immobilière est de 30 à 40 % supérieure à celle du privé (toujours même modèle hopitaux etc..)

Le pire arrive ces société d’escrocs non seulement s’accaparent comme RTE ou RFF la propriété publique au lieu de gérer un bien dont il devrait assurer la pérennité sont, avec notre argent de constituer des entreprises fonctionnaires de service. Un comble

je comprend maintenant les écrits du Préfet BREUIL que j’interpellait pour les carences de l’administration : »L’administration n’est ni une personne ni une entité homogène. Elle ne choisit ni ses buts ni ses objectifs, ils lui sont fixés par l’autorité politique ». Donc ni responsable ni coupable mais le contribuable paie ? Et ce même préfet continue en disant que procurer un toit, à l’hôtel, à des familles qui sont dans la rue est une solution moins couteuse que les centres d’hébergement !!

l’argent existe en France, il suffit de remplacer les 15000 hauts fonctionnaires par des gestionnaires qui connaissent la différence entre un prix et un coût

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Anonyme 18 décembre 2010 - 8:47

Le livret A
J’ai entendu dire (sur France Inter) que les fonds du livret A allaient servir à financer les travaux du « Grand Paris »…Défi social paraît-il…Suis-je bien informée ?

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