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Le rapport de l’IGF sur les professions réglementées

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Dans son dernier rapport sur les professions réglementées daté de mars 2013 (mais courageusement dévoilé beaucoup plus tard par le Gouvernement et publié seulement fin septembre 2014 !), l’Inspection Générale des Finances (IGF) dénonce chez ces professions « les niveaux élevés de rentabilité, de revenus et des évolutions qui ne trouvent, dans certains cas, pas d’autre explication que la réglementation en vigueur ». Et le rapport de détailler par la suite ce que visiblement il considère comme autant d’abus pour les 37 professions qu’il examine. Pour notre part et pour nous en tenir à l’expérience qu’ont pu nous apporter plus de 30 années d’exercice continu et conjoint des professions d’expert-comptable, de commissaire aux comptes et d’expert-judiciaire, nous restreindrons notre champ d’observation aux seules professions libérales. Nous reprendrons donc un par un chacun des quatre principaux griefs de l’Inspection Générale des Finances, strictement reproduits mot pour mot (cf. synthèse page 1 du rapport), avant de les confronter à notre propre vécu et à notre expérience interne de l’exercice prolongé d’une profession libérale.

1 – « Dans les 37 professions examinées, le bénéfice net avant impôt représentait en 2010 en moyenne 19,2% du chiffre d’affaires, soit 2,4 fois la rentabilité constatée dans le reste de l’économie. »

Évidemment, la connaissance intime de la comptabilité nous donne un avantage, mais comment ne pas être consterné que la fine fleur de la finance publique française puisse commettre une telle méprise! Si l’on veut déterminer véritablement la rentabilité intrinsèque d’une profession, ce n’est pas à son chiffre d’affaires qu’il faut se référer, mais à sa valeur ajoutée. Un exemple, supposons en négligeant les charges, qu’un concessionnaire automobile vende 100 une voiture neuve avec une marge de 6. A suivre l’Inspection des Finances son bénéfice net représentera 6% du chiffre d’affaires. Parallèlement et toujours en négligeant ses coûts et ses frais, supposons qu’un expert-comptable facture également 100 ses prestations annuelles (surveillance comptable, paye, déclarations, comptes annuels ) pour une entreprise donnée. En vertu de la simplification choisie, son bénéfice sera de 100% de son chiffre d’affaires. Or l’expert-comptable ne gagne pas en l’occurrence 16 ou 17 fois plus que le concessionnaire, parce que tout simplement le rapport au chiffre d’affaires n’est pas significatif. En effet, le concessionnaire gagne 6 sur un total de 100, dont pour simplifier, 94 ne correspondent en rien à sa propre prestation mais à la production du constructeur. Sa marge présentée à seulement 6% se trouve ainsi artificiellement réduite par rapport à la réalité et surtout à la valeur effectivement ajoutée, puisque le concessionnaire marge alors sur la production du constructeur dans laquelle pourtant il n’intervient pas. Au contraire, la marge de 100 de l’expert comptable provient intégralement et exclusivement de sa propre prestation. Et d’ailleurs, alors qu’il aura suffi au concessionnaire de quelques dizaines d’ heures de salariés pour acheter, préparer et revendre le véhicule, il aura fallu à l’expert comptable plusieurs mois de professionnel à plein temps pour parvenir au même chiffre d’affaires. C’est ainsi que juger de la rentabilité d’une profession en mêlant allégrement commerçants qui achètent pour revendre et prestataires de services, qui sont généralement des producteurs purs, n’est pas sérieux. Lorsqu’on se lance dans de telles comparaisons, ce n’est pas au chiffre d’affaires qu’il faut se référer, mais à ce qu’il reste de bénéfice par rapport à la valeur ajoutée spécifiquement apportée par le professionnel en cause. Et là bien entendu, le calcul change radicalement , puisque toutes les entreprises, qu’elles soient de vente ou de service ont vocation – en maîtrisant le mieux possible leur charges – à transformer en bénéfice la plus grande partie possible de leur propre valeur ajoutée. Le vice de raisonnement apparaît ainsi immédiatement, tout comme le subterfuge, car la seule comparaison qui vaille dans une démarche honnête et sensée c’est de situer le bénéfice par rapport à la valeur ajoutée, c’est à dire la part de chiffre d’affaires spécifiquement générée par l’activité du professionnel lui-même. La confusion ici dénoncée n’est pas digne d’un des plus grands corps de l’Etat, qui joue de son autorité et de l’ignorance économique – et encore plus comptable – des Français pour leur bailler une démonstration dolosive et en parfait trompe l’œil.

2 – « 32 de ces professions présentent des revenus médians supérieurs au revenu médian des salariés français. »

Il y avait déjà beaucoup à dire sur le premier grief, mais avouons que le second nous laisse absolument pantois. Ainsi l’Inspection Générale des Finances vient brutalement de découvrir et de s’indigner que les patrons gagnent généralement davantage que leurs salariés. On reste proprement confondu au regard de toutes les années d’études, de tous les concours difficiles et de toute l’expérience qu’il est nécessaire de cumuler avant de parvenir à une telle découverte! Premier point, que l’on n’enseigne probablement pas à l’ENA: les professions libérales ne sont généralement pas des professions à 35 heures et des horaires hebdomadaires moyens de 50 heures représentent le plus souvent un plancher, le plafond en pointe pouvant approcher ou dépasser les 70 heures. On ne fera donc pas l’injure de rappeler à l’Inspection que dans notre système tristement capitaliste quelqu’un qui -dans le secteur privé – travaille jusqu’à deux fois plus qu’un autre a une irrésistible vocation à gagner un peu plus que cet autre. D’autre part, ce n’est généralement pas dans les professions libérales que l’on trouve des semaines supplémentaires de congés payés et ces professions sont reconnues pour être celles où l’on cesse le plus tard son activité et où l’absentéisme est des plus faibles. Par ailleurs encore, ces professions reposent pour une large part sur des qualités propres d’initiative et de responsabilité , qui ne sont pas celles les plus communément observées dans l’état de subordination (privé et surtout public…) qui caractérise le statut des salariés: la capacité de direction, 50% au moins de temps personnel de travail en plus qu’un salarié , des qualités personnelles qui ne courent pas les rues, un revenu qui pour être généralement élevé n’est nullement assuré d’une année sur l’autre, la responsabilité individuelle y compris pénale vécue comme un risque quotidien et bien présent enfin. Manifestement il y a beaucoup du vécu ordinaire et quotidien d’une profession libérale qui échappe à l’Inspection des Finances, pour qu’elle s’offusque ainsi qu’un professionnel libéral puisse gagner davantage qu’un salarié moyen.

3 – « Économiquement, les niveaux de revenus observés /… / ne s’expliquent pas toujours par la durée de la formation, l’ampleur des investissements à réaliser, ni l’existence d’un risque d’échec économique de l’activité.

Objectivement et sans vouloir être désobligeant, est-ce que le niveau observé des revenus de Monsieur Haberer, figure éminente de l’Inspection des Finances et qui est à l’origine de la plus retentissante faillite bancaire française (le Crédit Lyonnais pour quelque 20 milliards d’euros au moins) s’expliquait bien par la durée de sa formation, par l’ampleur de ses investissements personnels ou enfin par l’existence d’un risque économique autre que celui qu’il a en définitive allégrement fait prendre aux autres, mais sans du tout l’assumer personnellement? Plus sérieusement:

– la durée de formation d’un professionnel libéral, qui comporte souvent plusieurs années de stage et qui le plus souvent s’étage entre bac+5 et bac+10, avec ensuite des obligations strictes, régulières et vérifiées de formation continue qui excédent de loin celles pesant sur la moyenne des salariés;

– le respect d’une déontologie stricte étroitement contrôlée par des Ordres (on n’en trouve pas ailleurs!) à l’intérieur de la profession et par la justice en dehors;

– les investissements liés tant à l’équipement professionnel qu’à l’acquisition de la clientèle ou du droit d’exercer et qui peuvent facilement représenter plusieurs centaines de milliers, voire parfois plusieurs millions d’euros, dont la rémunération normale se trouve logiquement incluse dans le bénéfice final;

– les risques qui ne sont pas seulement ceux exceptionnels d’une cessation de payement comme semble l’envisager l’Inspection, mais qui tiennent plus ordinairement aux risques professionnels courants de mise en jeu de la responsabilité, de concurrence déloyale d’anciens cadres et aussi de dépréciation du fond d’exercice libéral (les valeurs des fonds de pharmacie sont extrêmement volatils et si la profession de notaire se trouve réformée, il n’est pas sûr du tout que ce changement n’obère pas à terme la valeur des offices que les praticiens actuels ont payée à leur installation, la cession d’un portefeuille de commissariat aux comptes est depuis longtemps devenue incertaine et combien de dentistes parviennent à céder leur cabinet?)

– la profession libérale n’est pas, comme semblent malheureusement le croire un trop grand nombre de fonctionnaires, un long fleuve tranquille qui permettrait de s’en mettre plein les poches. Au contraire, elle exige constamment un investissement personnel et financier, une vigilance de tous les instants, dont la plupart de ceux qui ne l’ont pas exercée n’ont aucune véritable idée.

4 – « Il a été constaté qu’entre 2000 et 2010, les professions concernées ont vu leur valeur ajoutée agrégée augmenter de 54% alors que le PIB ne progressait que de 30%. Sur la même période, le bénéfice net de ces professions s’est accru de 46 % , alors que les prélèvements progressaient en valeur de 29% »

On a vu au long de ce qui précède, que les griefs précédents nous avaient assez largement surpris sans vraiment nous convaincre, mais ce dernier grief littéralement nous achève! Ainsi donc il est expressément reproché aux professions visées d’avoir eu l’audace d’augmenter leur valeur ajoutée de 54% sur 10 ans alors que pendant ce temps le PIB national n’aurait progressé que de 30%. En clair, chercher à développer son activité, oser « dépasser » l’évolution du PIB (pratiquement atone sur les dernières années..), parvenir à augmenter son bénéfice plus vite que les prélèvements obligatoires, voilà les principaux chapitres d’un acte d’accusation qui laisse rêveur et qui montre comme la simple idée de croissance et de développement est étrangère à la mentalité publique, même à l’intérieur de ses plus hautes sphères. Or que veut tout simplement dire ce reproche insensé: que malgré un contexte économique difficile, les professionnels libéraux ne sont pas restés les deux pieds dans le même sabot et notamment qu’ils ont peut être su mieux que d’autres négocier le double virage de l’informatique et d’internet, au lieu par exemple de s’embourber durablement dans les ornières d’un logiciel Louvois, qui sonne – par la pagaïe inouïe qu’il a introduite dans la paye des Armées – comme une insulte faite à la mémoire de ce grand serviteur de l’Etat ou encore de laisser les collectivités locales s’engager jusqu’au cou dans des emprunts toxiques contre lesquels il ne semble pas que l’Inspection des Finances se soit efficacement interposée à temps. Autre qualité qui fait souvent défaut ailleurs: le professionnel libéral est réactif et ce n’est certainement pas dans le secteur libéral qu’on tolèrerait toujours des cartes vitales sans photo, alors que les fraudes sociale et fiscale sont désormais au plus haut. En outre, au prix d’une veille technique attentive et d’efforts particuliers, les professions libérales ont en général su élargir leurs missions traditionnelles et ont même souvent ouvert de nouveaux secteurs à leur activité. La progression observée n’est donc pas le fruit du hasard, ou le produit d’on ne sait quelle rente, mais celui d’un dynamisme ambitieux et inventif, d’une vigilance élevée, d’une implication personnelle exigeante, d’une concurrence souvent vive des professionnels entre eux et même d’autres professions, car tout le monde dans ce pays ne peut se contenter d’observer l’arme au pied la crue infinie des déficits publics.

CONCLUSION

Pour terminer et en reprenant son grief introductif: « les niveaux élevés de rentabilité, de revenus et des évolutions qui ne trouvent, dans certains cas, pas d’autre explication que la réglementation en vigueur« , on relèvera que l’Inspection Générale des Finances développe dans l’introduction de son rapport une vision tellement déformée de la réalité des professions libérales, qu’on a quitté le domaine de la caricature, pour se rapprocher de celui du fantasme. Inversement, il ne faut pas pousser beaucoup les professions réglementées pour que certains de leurs membres rétorquent qu’en matière de rente, la fonction publique n’a actuellement aucune leçon à donner au reste du pays.

Bien sûr donc qu’il y a des choses à réformer chez les professions réglementées – comme d’ailleurs à l’Inspection des Finances, dont l’éminence incontestée coexiste pourtant depuis longtemps avec une gestion parfaitement calamiteuse de nos finances publiques – nul ne le contestera, mais ce n’est pas en partant de prémices complètement fausses ou largement biaisées que l’on pourra nouer les relations de confiance et instaurer le dialogue loyal qui sont le préalable indispensable à toute vraie réforme dans un pays toujours plus prompt à se déchirer qu’à se réformer.

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4 commentaires

Astérix 11 novembre 2014 - 10:46

Savoir compter et savoir gérer !
L'état préfère mettre le phare sur les autres professions plutôt que de regarder combien coûtent aux contribuables nos 7 millions de fonctionnaires en France et pendant combien de temps…?

Nos gouvernants sont tellement fins qu'ils vont faire en sorte de baisser les revenus des professions règlementées ce qui entraînera invariablement le licenciement par ces professions de milliers d'employés…

Génial…!

Je m'incline devant tant d'intelligence…!

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christian pène 12 novembre 2014 - 8:09

les pharmacies….
les pharmacies sont devenues des drugstores ; d'où elles sont volumineuses ; ce n'est le cas ni aux USA ni à Prague….

dès que le ministère lâche la bride, pour des médicaments déremboursés, aussitôt les prix s'envolent dans des proportions scandaleuses ……

par ailleurs , le ministère se garde bien de décliner pourquoi il dérembourse ; et s'il nous parle de l'inefficacité de certains remèdes , il se garde bien de les retirer totalement…….ce qui est absurde…..

par contre il dérembourse l'homéopathie dont l'efficacité et le faible coût sont avérés , grevant ainsi lourdement les finances de l'assurance maladie par commercialisation de remèdes chers , peu efficaces pour la plupart, à effets indésirables donc dangereux , et la plupart du temps ne concernant qu'un nombre dérisoire de symptômes……L'ABSURDE motivée par la corruption endémique de la République, personne morale (!?) menée par des personnes physiques …..

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MONGOUR JC 12 novembre 2014 - 6:28

Enfin, la vérité !
Bravo pour cet article empreint d'objectivité qui prend le contrepied de toutes les contre-vérités honteuses sur les professions réglementées, essaimées depuis des semaines et malheureusement jamais démenties.
Merci, ça fait un bien fou !

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Adèle 12 novembre 2014 - 6:56

les médicaments et les pharmaciens
Je voudrai répondre à l'article de Christian Péne en lui disant qu'il ne faut pas, incité par la jalousie, dire n'importe quoi sur la pharmacie et les médicaments Il faut parler en connaissance de cause et au moins sur ce sujet laisser la parole à des médecins de terrain qui ont l'expérience quotidienne. L'homéopathie donne souvent d'excellents résultats, n'est pas chère et c'est en se basant sur elle que les médicaments très souvent ont été crées. D'autre part il faut des médicaments pour soigner certaines maladies graves notamment le cancer ou le sida) et ils coutent plus chers que pour soigner une grippe.

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